Argentine : mésaventures bretonnes
L’émigration centre bretonne en Argentine est moins connue que celle vers l’Amérique du Nord. Elle a pourtant concerné des milliers de personnes, dont beaucoup ont connu un destin tragique, même si certains ont vécu de belles réussites, à l’instar des Sanseau de Coray.
Les Bretons ont très tôt fréquenté les rivages de l’Amérique du Sud. On sait que plusieurs d’entre eux faisaient partie des équipages de Magellan qui ont participé au premier tour du Monde accompli par les Européens au début du XVIe siècle. L’expédition trouva le passage entre l’Atlantique et le Pacifique, au large de la Terre de Feu. Quelques décennies plus tard, les Malouins donnent leur nom aux îles Malouines, désormais possession de la couronne britannique, mais régulièrement revendiquées par l’Argentine.
Longtemps, la présence européenne est restée cantonnée au littoral et à quelques ports, notamment la capitale Buenos Aires. Devenue indépendante, l’Argentine se lance, au XIXe siècle, dans une politique d’expansion et de colonisation vers les Andes, à l’ouest et le sud en soumettant les Indiens patagons. Pour peupler cet immense pays, l’Etat fait appel aux colons européens. Plusieurs centaines de Gallois s’installent ainsi en Patagonie. Au début des années 1860, l’intellectuel celtisant, Charles de Gaulle (grand-oncle du général) appelle les Bretons à les rejoindre, sans beaucoup de succès.
Départs massifs en 1889-1890
Dans les années 1880, la république d’Argentine emploie des agents recruteurs en Europe. Ils sont particulièrement actifs en Aveyron, au pays Basque et en centre Bretagne, vantant les mérites des territoires de l’Entre-Rios et de Patagonie. Grâce à des brochures illustrées, ils présentent un véritable pays de cocagne et promeuvent les facilités du voyage ou les aides pour acquérir des terres.
Ils vont provoquer une véritable ruée vers l’Amérique du Sud. Auteur d’un article sur la question, Grégoire Le Clech estimait à 15.000 le nombre de Bretons qui auraient immigré vers ce pays dans la seconde moitié du XIXe siècle, dont une large partie issue du centre Bretagne. Le territoire du kreiz Breizh connaît alors une forte croissance démographique, mais peine à offrir des débouchés en raison d’une certaine morosité économique.
Dans les années 1940 et 1950, Le Clech avait recueilli les témoignages d’anciens immigrés ou de leurs descendants. Ces derniers décrivaient de véritables cortèges de paysans centre bretons qui, après avoir vendu leurs biens, partaient par familles entières en charrettes vers Morlaix pour rejoindre le Havre et embarquer sur des transatlantiques.
Les disparus de Trélazé
Dans la seconde moitié du XIXe siècle, les ardoisières ferment dans les Montagnes Noires et particulièrement autour de Gourin. Cette crise pousse des centaines de Bretons à s’exiler. Nombre d’entre eux trouve d’abord de l’embauche dans les mines d’ardoises de Trélazé, près d’Angers. Rapidement, la cité devient une véritable colonie centre bretonne. Ils occupent les emplois les plus difficiles. Représentant plus de la moitié de la population, ils disposent de leur propre prêtre.
Originaire de Saint-Brieuc, l’abbé Durant occupe ainsi la place de vicaire des Bretons de Trélazé en 1888. Mais il est en froid avec son curé. Il se met en relation avec des jésuites du Paraguay qui lui parlent des opportunités en Amérique du Sud, particulièrement en Argentine. L’abbé Durant y voit l’occasion de s’éloigner d’un presbytère à l’atmosphère pesante et d’offrir de nouvelles opportunités à ses ouailles. Auteur d’un ouvrage sur l’émigration bretonne, l’abbé Elie Gautier, a écrit à ce sujet : « le vicaire breton connaissait bien les fidèles dont il avait la charge, leurs faibles salaires, les crises de chômage, les lourdes charges de famille chez une race prolifique, le ralentissement inquiétant du travail dans les carrières, l’arrivée récente de nouvelles familles bretonnes embauchées sans certitude du lendemain. »
L’abbé Durant parvient à convaincre 430 personnes de le suivre dans l’aventure. Ils quittent le Maine-et-Loire après avoir retiré leurs économies et embarquent à destination de Buenos Aires pour une seconde émigration. Puis, on perd leur trace. Plus de nouvelles. L’affaire fait quelque bruit. On en débat même à l’Assemblée nationale qui ordonnera une enquête, mais l’affaire conserve toujours bien des mystères. Il semble qu’une partie d’entre eux se soit dispersée sur place pour tenter leur chance dans plusieurs villes argentines.
Drames et désillusions
La région de Coray a été l’un des principaux foyers de l’émigration cornouaillaise en Argentine. En 1888, 150 habitants de la commune partent. Mais il touche aussi les monts d’Arrée, particulièrement Scrignac, Huelgoat et Poullaoeën. Grégoire Le Clech avait notamment rencontré un certain Guillaume Fléouter de Coray et sa femme, surnommée « Louise An Amerik », revenus en Bretagne après bien des déboires en Amérique du Sud.
Beaucoup se font en effet voler en débarquant après un voyage de plusieurs semaines. D’autres sont dupés par les banques ou sont envoyés pour défricher des terres désertiques. Trois cents familles échouent ainsi dans le désert de Cochico. On les abandonne en pleine pampa, où ils succombent aux maladies. Certains sont victimes de pillages. En masse et au bout de quelques mois, les survivants demandent leur rapatriement aux autorités françaises. Ils reçoivent également l’appui d’œuvres de bienfaisance, dont la Société philanthropique. Dans la fondation de cette dernière, en 1832, on retrouve des Bretons, dont le Carhaisien Louis Quenneuder. Comme le souligne le journaliste Stéphane Guéhéneuf : « D’eldorado, l’Argentine se transforme en véritable cauchemar. Finalement, qu’elle semblait douce la vie dans cette Bretagne natale à qui on a tourné le dos. »
La réussite des Sanseau
André Sanseau et sa famille font partie des Bretons qui quittent Coray en 1889. Eux-aussi font partie de ceux qui, trompés par un marchand de biens, échouent dans le désert de Cochico. Les Bretons sont décimés par la diphtérie et la typhoïde. Ils décident rapidement de rejoindre le littoral. Au moment du départ de Bretagne, « José » Sanseau avait 15 ans. Il s’adapte et va faire son bonhomme de chemin.
Il épouse une Italienne, Isabelle Sire, avec laquelle il aura 11 enfants. Ses frères et sœurs fondent également de grandes familles qui s’intègrent rapidement à la bonne société argentine. La seconde génération s’illustre par de brillantes études. Plusieurs de ses membres font carrière dans la banque ou dans la médecine, avant d’occuper des postes politiques. L’un de ses fils, Ivan, sera ainsi maire de Piguë, puis sénateur argentin en 1957.
La réussite de la famille Sanseau apparaît cependant un cas assez isolé et, rapidement, l’émigration bretonne vers les terres argentines se tarit, pour ne devenir qu’anecdotique à la veille de la Première Guerre mondiale.
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