Léandre Mandard retrace l’histoire de la revendication pour le galo
Léandre Mandard est historien et doctorant en histoire. Ce chercheur a consacré un mémoire de recherche sur l’histoire du mouvement galo des années 1920 aux années 1980. Nous sommes donc allés l’interroger sur la genèse et l’évolution des différents groupes défendant les particularités linguistiques de la haute Bretagne. Lui-même locuteur de galo, il a aussi appris le breton. Il nous livre également son éclairage sur la situation actuelle.
Comment c’est développé la revendication pour le galo et, d’ailleurs, depuis quand le terme existe-t-il ?
Le terme « galo » apparaît dans des textes médiévaux à partir du XIVe siècle. Le mot galo lui-même vient du breton et sert à désigner ceux qui ne parlent pas breton. Le terme était donc beaucoup plus en usage dans la zone de la frontière linguistique qui partage la péninsule. Il y a ensuite des mentions du galo dans des ouvrages de géographie, notamment. Au tout début du XIXe siècle, dans une lettre manuscrite, un Ploërmelais parle ainsi de « baragouin qu’on appelle de gallau ».
Au XIXe siècle, on assiste aux prémices d’un mouvement de mise en valeur du galo, terme qui en vient à désigner le parler roman de haute Bretagne, avec des folkloristes comme Sébillot et des auteurs populaires tel que Paul Féval. L’idée que le galo est un patois fait place à celle de dialecte, puis de langue à part entière à mesure qu’un mouvement militant prend en charge la question linguistique en haute Bretagne.
Le XIXe siècle est aussi l’époque des premières collectes et études, particulièrement avec Georges Dottin. Ce dernier envoie des questionnaires aux instituteurs. Il est le premier à documenter et à mettre en évidence une relative cohérence de la langue galèse.
Au XIXe et au début du XXe siècle, il y aussi un essor de l’utilisation du galo dans la presse locale. On y trouve beaucoup d’histoires en lien avec la ruralité, des gaudrioles, mais aussi des textes plus politiques, comme une invective d’un candidat républicain du côté de Ploërmel contre le candidat monarchiste… Le galo est souvent utilisé pour brocarder les élites. Il est l’expression d’une identité paysanne face aux élites urbaines ou aux nobliaux locaux.
C’est plutôt dans l’entre-deux-guerres que se développe donc un mouvement de reconnaissance culturelle ?
On voit apparaître des éléments plus revendicatifs avec des artistes comme Jeanne Malivel. Une partie du mouvement régionaliste, avec des personnalités comme Jean Choleau, président de la Fédération régionaliste de Bretagne (FRB), s’intéresse à la question. Dans les années 1930, on assiste à la naissance de groupes folkloriques, comme l’Union traditionnaliste du pays de la Mée (1938) ou le groupe des sabotiers de Fougères. Le groupe Gallo-Breton de Simone Morand monte une première pièce en gallo la même année (1938). Beaucoup de ces militants de haute Bretagne étaient lassés de voir la culture bretonne résumée au costume de Pont-Aven et à certaines danses de basse Bretagne. Ils voulaient mettre en valeur les spécificités locales de haute Bretagne.
Peu à peu, la question de la langue galèse prend de l’importance. Début 1939 sont créés les Compagnons de Merlin, avec Marie Drouärt, dans le but d’amorcer un « réveil culturel en haute Bretagne ». Le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale va bien entendu bouleverser la situation.
Justement, comment ces militants se positionnent-ils par rapport au Parti national breton, dont nombre des dirigeants (Mordrel, Debeauvais) étaient d’ailleurs originaires de Haute Bretagne ?
Plusieurs personnages, comme Marie Drouärt ou Joël de Villers, sont séduits, un moment, par les thèses du PNB. D’autres, comme Jean Choleau et sa revue Galerne, se recentrent sur le culturel. On voit que la question du galo émerge au sein du mouvement breton, avec plus ou moins de succès. Il y a des émissions sur radio Rennes, mais moins qu’en breton. Par ailleurs, les chefs du PNB, comme Debeauvais ou Mordrelle, sont peu portés sur le galo et privilégient une unité linguistique autour du breton.
Dans le Manifeste du Gallo (2015), son auteur, Fabien Lécuyer dresse l’éloge de Théophile Jeusset, qui a pourtant un lourd passé d’extrême droite à cette période ?
Jeusset pose la question de savoir s’il faut s’emparer de la question du galo pour en faire quelque chose, mais, ensuite, il fait partie des personnes qui ont promu la bretonnisation des toponymes de haute Bretagne…
De même, pour Olivier Mordrelle, le galo n’est qu’une langue de paysans dont le registre élevé est le français. Selon lui, il n’y a donc rien à en tirer dans une perspective nationale bretonne…
Et il n’y a pas que des collaborateurs. C’est la période ou le résistant René-Yves Creston promeut la culture de haute Bretagne à l’Institut celtique. Idem avec Mystringue, un artiste et diseur d’histoires du pays de Ploërmel, très impliqué pour le gallo, est fusillé par les Allemands à Saint-Jacques-de-la-Lande en 1944. Il a laissé un souvenir dans les mémoires de ce territoire.
Ce premier mouvement prend fin après la Libération ?
Ce premier élan revendicatif s’est en effet arrêté après la Seconde Guerre mondiale, même si des personnalités comme Simone Morand ont continué des actions personnelles. D’autres, comme Albert Poulain, ont débuté leurs travaux.
Les militants d’avant 1945 étaient plus ou moins politisés. D’ailleurs ils ont sans doute plus posé de questions qu’affirmé des choses.
De toute façon la réification de cet objet linguistique qu’est le galo s’étale sur le temps long. Contrairement à ce qui s’est passé pour le breton, les réalisations de l’Occupation ont été complètement oubliées par le mouvement gallo qui s’est reconstitué quelques décennies plus tard. Aujourd’hui encore, l’existence du premier mouvement gallo reste très peu connue. Il n’y a pas eu de transmission de mémoire ou d’héritage idéologique de cette période.
Quand le mouvement d’affirmation du galo reprend-t-il ?
Dans les années 1970 avec la création de nouvelles organisations et l’arrivée de jeunes influencés par Mai 68. Il y a aussi la figure centrale de Gilles Morin, un jeune professeur d’Histoire, marqué à gauche, qui va tenter de relier la question sociale et le galo. Cela permet de redorer le blason du galo et de légitimer une culture méprisée.
Il a aussi voulu bousculer le mouvement culturel. Il y a vraiment une rupture avec ce qui s’était passé avant. Il est notable de constater l’absence de mémoire militante entre la moitié et la fin du XXe siècle et ces deux générations.
C’est aussi la période d’affirmation que le galo est une langue ?
A partir de la fin des années 1970 et dans les années 1980, il y a une reconstruction de la revendication du galo sur de nouvelles bases. Morin est l’un des premiers à affirmer que le galo est victime d’une double « satellisation », un double impérialisme linguistique, de la part du français et du breton et qu’il constitue une langue à part entière. Des échanges parfois vifs ont lieu avec des militants brittophones, notamment sur leur orthodoxie culturelle, pour laquelle seule la langue bretonne s’insère dans la pensée nationale. Morin est cependant proche de l’autonomisme breton. Pour lui, la revendication galèse est une part de la revendication bretonne.
Avec ce second mouvement se développe aussi l’idée que le galo n’est pas qu’une langue, mais un environnement culturel et naturel. C’est un héritage, notamment paysan.
C’est aussi le moment où le galo rentre à l’école ?
Le rectorat de Rennes accorde en effet une option galo en 1983. Dans les années 1980, les militants défendent l’idée que le galo peut être un bon moyen d’intégrer les élèves en difficulté dans les zones rurales de haute Bretagne. Les enseignants de galo se rapprochent d’ailleurs du mouvement Freinet. Mettre en avant leur culture d’origine permet aussi de valoriser ces élèves. L’option galo va, dès lors, se développer dans le secondaire en haute Bretagne.
Phénomène classique pour les langues minorisées, il y a aussi des débats sur l’orthographe ?
Il y a en effet des échanges passionnés autour de plusieurs orthographes proposés, notamment l’ELG, créé en 1978 par Alan Raude. C’est une écriture assez intellectualisante, peu accessible. A côté, on trouve l’orthographe Aneit, beaucoup plus simple et plus proche de l’orthographe ABCD, très majoritairement utilisé désormais et créé en 2007. C’est celui qui est utilisé par l’Institut du galo.
Il y a aussi l’orthographe « MOGA », qui est promu par l’institut Chubri.
Pourquoi ne pas utiliser le français standard ?
Parce qu’il ne permet pas de restituer les nuances et certains sons en galo. Certains ont tenté d’utiliser l’orthographe du français, mais cela ne fonctionne pas.
Proposer une autre orthographe que le français, c’est aussi assumer une identité graphique propre à la langue…
La galo est donc une langue ou juste un parler roman ?
Pour moi, c’est un faux débat. Il s’agit juste de regards différents appliqués sur un même objet. Beaucoup de locuteurs disent qu’ils parlent patois, sans que cela ne les dérange, alors que ce mot est plutôt péjoratif pour d’autres.
Comment pourrait-on revendiquer le fait d’être un dialecte dans le système politique et linguistique français au vu de degré d’exclusion de tout ce qui diffère de la norme de Paris ? L’affirmation et la revendication du statut de langue s’inscrivent bien entendu dans un processus de légitimation. C’est un choix politique.
Après, à titre personnel, peu m’importe comment on l’appelle : ce qui m’intéresse avant tout, c’est que le gallo soit parlé, cultivé, regardé comme une richesse.
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Comment ont évolué les mouvements du galo depuis les années 1980 ?
Gilles Morin se retire à la fin des années 1980, notamment en raison de querelles sur l’orthographe. On voit que l’élan général retombe dans les années 1990, même si l’enseignement dans le secondaire a continué à se développer.
Depuis, il y a aussi eu un effort dans l’édition, avec la parution de dictionnaires, de grammaires, de livres…
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Depuis les années 2000, la donne a changé avec la reconnaissance du galo par les collectivités, en premier desquelles le conseil régional de Bretagne. C’est aussi la reprise des actions de revendications des militants, comme en 2010, lorsque plusieurs d’entre eux se sont présentés bâillonnés, lors d’un discours de Léna Louarn, vice-présidente de la Région en charge des langues de Bretagne.
Il y a aussi ce contentieux sur la toponymie et la signalétique ?
En Haute Bretagne, il existe des toponymes vernaculaires, connus de la population locale. Or, il y a eu une tentative de forger de nouveaux toponymes à partir du breton sans prendre en compte la diversité de la Bretagne. On trouve parfois des noms de lieux qui sont des traductions littérales de toponymes galo en breton, des noms inventés ou réinventés, sans prendre en compte l’histoire des lieux. Pour certains, cela a été perçu comme une forme de violence linguistique et comme une volonté de nier la culture locale. Or, une culture locale, aussi un patrimoine qui se transmet de générations en générations.
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Cela a vraiment braqué les gens, d’où le rejet des panneaux en breton. En Haute-Bretagne, il est problématique d’afficher un toponyme « breton » inventé dans un bureau dans les années 1980, alors qu’il existe un toponyme gallo qui est encore une réalité pour plein de gens. C’est contre-productif pour la langue bretonne elle-même, et les controverses des mois passés à ce sujet le montrent suffisamment.
Quel avenir pour le galo, alors que des zones de haute Bretagne, comme les aires urbaines de Rennes et Nantes voient leur sociologie évoluer rapidement ?
Il existe quelques bastions ruraux où le gallo est encore très présent, et sur lesquels la politique linguistique pourrait s’appuyer : 27% des gens connaissent le gallo dans le sud-est des Côtes-d’Armor (cf. enquête 2018). Mais Rennes est également un pôle important, et il y a des choses intéressantes à faire partout. Même si le galo est loin de résumer la diversité linguistique de la haute Bretagne aujourd’hui avec l’arrivée de nouvelles langues.
Je suis persuadé qu’une langue, c’est un rapport original au monde, d’où l’utilité de la perpétuer. Une langue est aussi intimement liée à un environnement naturel. Il me paraît intéressant d’entretenir la mémoire des sociétés qui vivaient de manière autonomes et écologiques. Parler local, c’est très proche de manger local !
Je trouve aussi intéressant le concept de transmission et de lien intergénérationnel.
La Bretagne est une société complexe, ce n’est pas une ethnie. Il y a mille manières d’être breton. Le galo illustre très bien cette complexité et cette diversité bretonne !
cet article est très bien fait, je ne vois rien à redire de ce qui est évoqué, c’est assez rare sur le sujet !J’adhère donc à l’ensemble et dans ses détails. Félicitations!
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Une précision sur Théophile Jeusset et la collaboration. Il était bien vu à l’époque comme militant pour le gallo après la parution de son livre Le Parler Gallot en 1937. Ses travaux sur le breton datent seulement d’après la guerre. Joël de Villers est cité dans l’article est également condamné à la libération pour collaboration. Lui aussi est au « pantheon » des « grands hommes » dans le livre de Fabien Lécuyer…
Quand un toponyme du pays gallo s’explique par le breton, c’est assez logique qu’on puisse l’écrire aussi en breton. Je constate cependant que parfois les toponymes de langue bretonne en pays gallo sont mieux écrits qu’en pays bretonnant. Prenons deux noms en ploue : Poullaouen n’est pas réécrit Ploulowen tandis que Péaule est réécrit Pleaol. De même, prenons deux noms en -eg : Lann Bihoué n’est pas réécrit Lann Bezvenneg (ou Bezvoed, Bezvid, il y a trois formes pour boulaie), tandis que La Meilleraye est réécrit Melereg (à tort semble-t-il, Mespereg conviendrait mieux car le toponyme vient du latin mespilaterum (néflieraie), une racine qui s’est bien conservée en breton, ce qui pourrait justifier à la limite qu’on l’écrive aussi en breton (je ne sais pas si elle s’est conservée en gallo). Même en pays bretonnant, parfois on ne comprend pas trop le choix qui est fait en matière de panneaux dits bilingues. La rivière Pennélé a été réécrite Penele, alors que le sens est penn evlec’h. Evidemment, on pourrait se contenter des prononciations actuelles, sauf qu’on ne sait pas si l’évolution a été naturelle ou si elle est le fruit d’une maltraitance institutionnelle.
Je n’ai pas retranscrit la mutation B/V après le nom féminin Lann. On aurait Lann Vezvoed par exemple. A Morlaix, Langolvas n’a pas été corrigé en Lann C’holvazh. L’absence de la mutation ne peut pas s’expliquer par un article escamoté, bezvenneg/bezvoed/bezvit et golvazh étant eux-mêmes féminins, la mutation se ferait quand même.