Non, les Ukrainiens ne chantent pas un hymne nazi, mais une chanson paillarde bretonne…

Plusieurs sites ou militants pro-Kremlins diffusent ces derniers jours des vidéos d’enfants ou de soldats censés chanter un « hymne non officiel » de la lufftwaffe, l’armée de l’air allemande pendant la Seconde Guerre mondiale. De quoi faire bondir tout connaisseur de la musique bretonne, dont l’oreille attentive aura reconnu le fameux « Son ar Chistr », la chanson du cidre, un morceau plutôt paillard, voire grivois, composé dans les années 1920. De quoi dégonfler un complot international ?

https://www.youtube.com/watch?v=wOikb6ZbnEI

On le sait, Vladimir Poutine a justifié son « opération spéciale » en Ukraine, le 24 février, par sa volonté de « dénazifier » ce pays. Depuis, les officines de propagande du Kremlin, comme les partisans de l’Ukraine, se balancent régulièrement des accusations de nazisme. Sans entrer dans ce vaste débat ; où bien des points Godwin ont été franchi, le Penn Bazh se penchent sur des vidéos qui circulent depuis quelques semaines présentant des enfants ukrainiens ou des soldats chantant un morceau qui serait « l’hymne officieux de la Luftwaffe ». Les pro-Russes présentent d’ailleurs cette dernière comme « l’armée de l’air SS » du Troisième Reich. Sans vouloir atténuer les crimes des aviateurs allemands pendant ce conflit ou, auparavant la guerre d’Espagne (Gernica), on notera quand même que la SS ne contrôlait pas la Luftwaffe de Göring.

Disons que, dans tout conflit et en matière de guerre de l’information, la nuance figure toujours parmi les premières victimes… On aura aussi compris qu’il s’agit ici de présenter les Ukrainiens comme des nostalgiques du nazisme, puisqu’ils chantent des chansons militaires allemandes. L’information a d’ailleurs été relayée par des militants nationalistes et souverainistes français pro-Poutine, notamment via Twitter. Or, en tendant l’oreille, on aura cependant reconnu un air très populaire beaucoup plus à l’ouest..

Composée en 1929

Sans présager des paroles en Ukrainien, cette chanson est en fait un standard de la chanson traditionnelle bretonne. Ce son ar chistr (la « chanson du cidre » en français » a été composée à la fin des années 1920 par deux adolescents facétieux du secteur de Guiscriff, Jean Bernard et Jean-Marie Pina. Ce « Sône », chanson joyeuse en breton, était destiné à rendre moins pénible les travaux aux champs. Il se nommait, à l’origine, « Ev chist ‘ta Laou », qu’on peut traduire par « bois donc du cidre Guillaume ».

C’est le curé du bourg voisin de Scaër qui semble en avoir retranscrit les paroles. En les expurgeant d’ailleurs des passages les plus osés… « Son ar chistr » parle en effet de boire du cidre (beaucoup), mais aussi d’ « aimer les filles » (et de se tripoter un peu…). Bref, une grosse chanson paillarde, à boire et à manger, comme il en existe dans toutes les cultures… En 1951, Polig Montjarret recueille la chanon et commence à la populariser.

Succès mondial

Dans les années 1970, Son ar Chistr connaît un succès étonnant grâce, notamment à Alan Stivell qui la popularise avec son album Reflet, en 1972, puis lors de son succès à l’Olympia, en 1972. Le poète et chanteur breton, Youenn Gwernig, ami de Jack Kerouac et longtemps installé à New York, la reprend également. Son père, Jul, l’aurait entendue dans sa version originale des années 1920.

Surtout, Son ar Chistr dépasse rapidement les frontières armoricaines. Elle est repris en néerlandais, sous le nom « Zeven Dagen lang » par le groupe de Bots. On la chante dans les meetings du parti socialiste néerlandais, avant qu’elle ne soit adoptée par les supporters du PSV Eindovhen en 1977. Assez naturellement, Son ar Chistr franchit ensuite le Rhin, où elle devient « Was Wollen Wir Trinken Sieben Tage Lang » (qu’on peut interpréter par « ce que nous voulons boire pendant sept jours », tout un programme de fête de la bière…). Ajoutons que nous n’avons guère trouvé d’intervention de l’armée de l’air dans ces succès tant bataves que germaniques…

En version allemande…

Dans les années 2000, Son ar chistr est même popularisée en Russie, particulièrement par les groupes Octavo-Yo ou les métalleux de FRAM…

Et, en Bretagne, elle continue d’être chantée par de nombreux artistes, en témoigne cette vidéo de la chanteuse Gwennyn à Quimper, il y a quelques années…

Son ar Chistr version Alan Stivel

Son Ar Chistr version Gwennyn

La question reste donc posée de savoir pourquoi cette chanson égrillarde bretonne est aujourd’hui populaire en Ukraine, mais difficile d’y voir un complot néonazi…

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5 réponses

  1. Perig Evoreg dit :

    Les Ukrainiens chantent son ar chistr en (pas mauvais) breton et aussi en allemand 😉
    https://www.youtube.com/watch?v=FuRxPnasQuk

  2. JP dit :

    « Sans présager des paroles en Ukrainien » : c’est peut-être par là qu’il faudrait commencer, par les paroles ? Parce que chez nous (Bzh), ça fait partie de la tradition de mettre des paroles à chanter « sur l’air de… », il y a plus d’une feuille volante qui répondait à cette tradition. Je ne connais pas celles des Ukrainiens, et loin de moi l’idée de penser, a priori, que les paroles (ev chistr ‘ta, Laou, etc.) ont été changées, mais la musique ne m’indique rien de spécial à ce sujet. Elle dit quoi, cette version-là ? On peut trouver ces paroles quelque part ? 🙂

  3. Béclère dit :

    Les paroles sont (au moins en partie – difficile de tout capter sur ce genre de vidéo) celles de la version allemande qu’avait repris un le groupe Bots https://youtu.be/gh3Y_jtDADo
    Par contre, il traîne sur internet des vidéos plus que teintées de nazisme. je vous laisse chercher.

  4. Béclère dit :

    Une petite demande de précision : d’où tenez-vous l’image de la partition illustrant votre article ? Elle ne correspond en rien à celle publiée dans l’album N°1 des partitions d’Alan Stivell.
    Cordialement.
    J-Pierre Béclère

  5. gweltaz ar fur dit :

    D’après une excellente amie russophone le premier couplet est chanté en « Ukrainien » et explique : « nous avons des armes et savons nous en servir, nous avons l’esprit de rebellion aussi » puis viennent les couplets en Allemand plus proches de l’original qui proposent : « Que pouvons nous boire en huit jours? ». Les jeunes chanteurs/chanteuses sont vêtus aux couleurs du drapeau ukrainien, la soliste en uniforme paramilitaire.

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