Brest : une double expulsion qui pose question

Après avoir été expropriés deux fois par la métropole brestoise, un frère et une sœur ont été saisi de près de 180.000 euros pour n’avoir pas vidé les lieux à temps. En quelques années, la famille a en effet été expropriée à deux reprises. Une situation traumatisante à bien des égards, même si le droit a été respecté qui illustre le cauchemar et le manque d’empathie vécu parfois par les citoyens.

Jacqueline Queféléan avec la photo de son père dans l’ancien paradis familial, aujourd’hui exproprié.

Faire le deuil d’un paysage mental… Une grande partie des personnes victimes de catastrophes naturelles, d’inondations ou de tremblement de terre le disent : le plus dur, c’est de ne plus retrouver le paysage familier, celui que l’on connaît depuis son enfance et de savoir qu’on ne le retrouvera plus que dans ses souvenirs…

Des souvenirs, la famille Queféléan. en avait, dans leur ancienne propriété sur l’actuelle zone de L’Hermitage, à Brest et constitué de deux maisons et d’un terrain. « La première maison, détruite pour faire passer le tramway, était dans notre famille depuis des décennies, raconte Jacqueline Queféléan. Mes grands-parents l’ont achetée à un juge de paix, un certain Bastide, après avoir été locataire. Ils l’ont acquise avec le fruit de leur travail. C’était la maison d’enfance de mon père, celle où il a ensuite vécu avec notre mère, puis où nous avons grandi avec mon frère. Par la suite, mon père a construit une seconde maison en 1972. »

Double expropriation

Un îlot familial qui n’a pas résisté au développement urbain récent de la capitale du Ponant. Une première maison, malgré l’opposition de la famille, a été expropriée pour la construction de la première ligne de tramway en 2008-2010. « Humainement, cela a été très dur pour mes parents. Mon père est décédé quelques temps plus tard. »

Cette première expropriation se justifiait par la construction d’un équipement dont l’intérêt général ne faisait pas de doute. Elle s’est d’ailleurs déroulée dans les règles des procédures. Néanmoins, la famille Queféléan n’était pas au bout de ses peines quelques années plus tard. Alors que les collectivités locales évitent en général d’exproprier des terrains avec habitation, cette fois, c’est leur deuxième maison, située à proximité et possédant un vaste terrain, qui a été acquise par Brest métropole aménagement (BMA) pour destruction dans le cadre du développement de la zone économique de l’Hermitage.

La deuxième maison avant sa destruction en 2023.

« On a l’impression d’être arrachés ! »

Une double expropriation rare, selon un professionnel de l’immobilier. « On a l’impression d’être arrachés ! C’est comme un sacrilège », soupire Jacqueline Queféléan. Une fois encore, la famille résiste et s’oppose. En vain, mais après avoir épuisé tous les recours, une forme de compromis est trouvé en 2017. Les Queféléan peuvent rester sur place jusqu’au décès de leur mère, alors âgée de 86 ans. L’accord prévoit cependant qu’après un délai de quelques mois, s’ils continuent à occuper les lieux, ils devront payer un dédommagement de 800 euros par jour. Une somme importante et avant tout dissuasive et incitative qui, en général est rarement réclamée par les collectivités ou, du moins, pour un montant raisonnable.

« Humiliation »

Marthe Queféléan décède début 2021, en pleine période de Covid. Le marché brestois de l’immobilier est alors particulièrement compliqué. Pour résumer, on ne trouve rien à louer ou à acheter. « On cherchait sans relâche, assure Jacqueline Queféléan, mais on ne trouvait rien. On a tenté des solutions sur des plateformes Internet, mais on s’est fait rouler. Au printemps 2022, on est allé à l’hôtel, mais, là aussi, c’était difficile de trouver. On a séjourné dans des Formule 1, comme à Plougastel, mais c’était la zone. » Elle engage de nouvelles procédures pour conserver le terrain familial. En vain.

Entre temps, à partir de septembre 2021 et jusque mai 2022, BMA a fait valoir la clause du contrat pour non restitution du domicile. Avec saisie par le cabinet d’huissier Sed Lex (ca ne s’invente pas) directement sur les comptes bancaires des Queféléan. En tout et pour tout, la collectivité a fait faire 246 prélèvements de 800€, pour un montant total de 196 800 euros, sans compter 5.000 euros de frais d’huissier et les frais bancaires…

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Une somme qui correspond à une petite maison dans la région brestoise. « Il n’y a eu aucune volonté de compromis, assure Jacqueline Queféléan. C’était une mise en demeure de quitter les lieux sans tenir compte de la pénurie de biens à ce moment-là. On a reçu que des réponses administratives de BMA. On a contacté François Cuillandre. On a cherché à alerter les élus, mais presque personne ne nous a écouté. Le député Larsonneur a bien rencontré BMA, mais rien obtenu et on l’a renvoyé au protocole d’accord.  »

Depuis, cependant, BMA leur a reversé 15 163 €, soit seulement 7,7% du total. « On a proposé de payer un loyer « normal » pour les mois passés en plus dans la maison, mais pas 800 euros par jour ! C’est ubuesque comme somme ! »

D’autant que ses comptes bancaires et ceux de son frère ont été bloqués. « J’étais partie faire de l’essence et la carte ne marchait plus. Je l’ai vraiment vécu comme une humiliation. »

Punir ?

Jacqueline Queféléan nous reçoit dans son nouveau domicile qu’elle occupe depuis juillet 2022. « C’est un peu en désordre, mais je n’ai pas le cœur à tout déballer », s’excuse-t-elle au milieu de cartons toujours fermés. « Être expulsé, c’est perdre le goût de l’avenir. On n’arrive plus à avancer, à se projeter… C’est nous couper de nos racines, ancrées dans cette terre cultivée et acquises par nos ancêtres. C’est un traumatisme qui nous empêche de vivre normalement et qui laisse des séquelles irréversibles. Nous sommes victimes d’une injustice. C’est scandaleux. »

En 2023, la maison familiale a été détruite. Il n’y avait pas forcément d’urgence, d’ailleurs le terrain ne semble toujours pas avoir trouvé preneur. Les sommes semblent définitivement encaissées. Dans un compte-rendu financier de la métropole brestoise, on constate que, sur les recettes 2022, il est noté : « A la perception des pénalités des consorts Quefélean (187 K€) ». Il s’agit de la trace officielle des prélèvements de l’huissier qui sont donc venus amender le bilan d’aménagement de la zone. « Cette somme ne reste donc pas dans BMA, mais fera partie du bilan rendu à la métropole à la clôture de la zone d’activité, comme solde de tout compte », note un connaisseur du dossier.

Un élu d’une autre collectivité bretonne indique être étonné de la situation des Queféléan : « même s’il peut avoir des blocages et des cas complexes, on recherche toujours des compromis. Il faut mettre de l’humain. » Contacté, un médiateur a constaté qu’il y avait un problème, mais sans conséquences.

Du côté de BMA, on estime que toutes les procédures ont été respectées et que la maison expropriée a été payée « un bon prix ». En janvier 2021, sa directrice, Claire Guihéneuf, expliquait à nos confrères du Télégramme qu’il s’agissait « de ne pas faire un cas particulier » pour cette maison.

Ce que conteste Jacqueline Quéféléan : « je pense qu’il s’agit d’une vengeance. On a osé résister à BMA et à monsieur Cuillandre. Donc, il n’y a aucune pitié pour nous et on a voulu nous punir. »

Mauvaise image

Relayé dans la presse, le cauchemar des Queféléan a ému de nombreux Brestois et certains élus, comme Thierry Fayret, ancien adjoint au maire de Brest et désormais dans l’opposition. « Cela illustre un certain système de domination mis en place à Brest, avec une puissance publique dévoyée. On en oublie l’humain, car cette famille populaire a vraiment payé cher sa résistance », indique-t-il

Une nouvelle affaire qui vient s’ajouter à d’autres exemples de management assez brutal dans les administrations ou les structures parapubliques brestoises.

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Sans compter les déboires du maire, François Cuillandre, dans l’affaire Vivre à Brest.

« Cette histoire, ce n’est pas terrible comme image pour une collectivité gérée par la gauche », résume un élu.

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3 réponses

  1. Guil. dit :

    Bonsoir.

    Article intéressant. C’est juste pour vous dire qu’en France on ne met pas de point dans les nombres.

    Salut.

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