Il y a 50 ans, le FLB-ARB détruisait le pylône de Roc’h Trédudon

Dans la nuit du 13 au 14 février 1974, le FLB-ARB réalise l’un de ses attentats les plus spectaculaires dans les monts d’Arrée. La destruction du pylône prive une partie de la Bretagne de télévision pendant quelques semaines et fait beaucoup parler. 50 après, qu’en reste-t-il ? Un livre publié par le Penn Bazh tente de faire le point sur la question…

En ce matin du 14 février 1974, c’est un spectacle assez dantesque qui attend le visiteur passant par le col de Roc’h Trédudon, dans les monts d’Arrée. L’immense pylône de 221 mètres de haut, visible la veille a des kilomètres à la ronde, gît dans la lande. Il était en service depuis 1961.

On ne dénombre aucun blessé, mais en découvrant l’ampleur des dégâts le lendemain, un responsable local de l’ORTF fait un malaise et décède.

Revendiqué par le FLB-ARB

Sur place, les enquêteurs découvrent un carton où a été inscrit « Evit ar brezhoneg » (« pour la langue bretonne ») et signé FLB-ARB. Il s’agit du Front de libération, Armée révolutionnaire bretonne, une organisation née dans les années 1960 et responsable depuis de dizaines d’attentats en Bretagne ou en région parisienne.

L’organisation avait connu un coup d’arrêt en 1969 après l’arrestation d’une quarantaine de ses membres, dont plusieurs curés… Ils ne seront jamais jugés. Après la démission du général de Gaulle, suite à son échec au référendum sur la régionalisation (auquel la Bretagne avait dit oui), Georges Pompidou est élu. Le nouveau président de la République amnistie les détenus bretons.

Le FLB-ARB revient dans les années 1970. Plusieurs de ses membres sont jugés en 1972 au terme d’un procès assez retentissant, qui se transforme rapidement en tribune politique. Le FLB-ARB devient aussi plus « révolutionnaire », avec un discours qui reprend de nombreuses thématiques d’extrême gauche.

Années de poudre

Les attentats se multiplient. Entre 1966 et 1981, on recense plus de 250 actions, dont Roc’h Trédudon constitue l’une des plus spectaculaires avec la destruction de véhicules de la CRS 13 de Saint-Brieuc en 1968 ou l’attentat contre le château de Versailles en 1978.

Cependant, le caractère militaire de l’organisation de l’attentat de Roc’h Trédudon laisse planer un doute, d’autant que les commandos de Marine étaient en opération dans le secteur à ce moment-là. Et que la DST a déjà manipulé certains attentats, comme celui de la villa Bouygues en 1972, sur la Côte d’Émeraude… Alors, manipulation en 1974 ?

La chose semble peu probable, car, en 1994, un ancien membre du FLB-ARB, Yann Puillandre, réalise une interview du chef du commando qui a détruit le pylône pour la revue indépendantiste Combat breton. Il y raconte les conditions particulières qui régnaient cette nuit-là, avec un vent fort et… des manœuvres de l’armée française dans le secteur.

Il évoque aussi la composition du matériel utilisé, « quatre charges de gomme F15 de trois kilos, deux par socle, reliées par des détonateurs électriques, en double allumage et liaison supplémentaire par cordeau détonnant. Le tout commandé par un double minuteur ». Pour les artificiers, il s’agit en effet de s’attaquer à deux des câbles soutenant le pylône. « Les deux câbles de chaque socle étaient fixés sur deux gros axes, traversant deux grosses plaques de fer plat, parallèles, figées dans le béton. Les charges, bien calées entre les plaques, les déformeraient à l’explosion et libéreraient l’axe et les câbles. »

Il faut une demi-heure aux membres du FLB-ARB pour placer les charges. Ils ont ensuite une belle frayeur en attendant la voiture qui doit les récupérer, en voyant passer « une Jeep de l’armée… »

Pourquoi un tel attentat ?

Dans cette interview, l’ancien clandestin du FLB-ARB revient sur les motivations des activistes bretons. Il s’agissait, selon lui, de répondre à la dissolution du mouvement en conseil des ministres quelques jours auparavant. Une décision prise à l’initiative du ministre de l’Intérieur de l’époque, Raymond Marcellin. En poste depuis mai 1968, ce dernier était renommé pour ses positions très répressives, particulièrement contre les mouvements d’extrême gauche, mais également contre les indépendantistes bretons, basques ou corses. En ce début 1974, Marcellin, surnommé « Raymond la matraque », était empêtré dans le scandale des écoutes du Canard. Deux hommes de la DST, le contre-espionnage français, avaient été surpris en train d’installer des micros dans les locaux du Canard enchaîné. Implanté dans le Morbihan, Raymond Marcellin perdra son portefeuille quelques semaines après l’attentat de Roc’h Trédudon et ne sera plus ministre après l’élection de Giscard d’Estaing en mai 1974.

Le FLB justifie aussi son action pour « faire comprendre à l’ORTF et à son directeur breton que leur dédain pour la langue bretonne (1 minute 30 secondes deux fois par semaine et la censure en plus) n’était plus supportable ». À l’époque, en France, les chaînes de télévision sont toutes publiques et centralisées à Paris sous l’égide d’Office de radiodiffusion-télévision française. Elles sont étroitement contrôlées par le pouvoir. Cependant, l’ORTF est en crise et très contesté. Il éclatera d’ailleurs à la fin de 1974.

Un attentat qui a marqué les esprits

Si l’attentat de Roc’h Trédudon a tant marqué les esprits, c‘est que les destructions ont été spectaculaires. Pendant plusieurs semaines, la foule se presse d’ailleurs dans les monts d’Arrée pour observer les dégâts. Les restaurateurs du centre Bretagne ne s’en plaignent pas, paraît-il…

Surtout, la destruction du pylône prive de télévision et de radio une grande partie de l’ouest de la péninsule. Il a un effet concret dans des milliers de foyers bretons, ce qui en irrite beaucoup, comme le rapportent les médias. Pourtant, de nombreux témoins se souviennent aussi avoir retrouvé une autre vie sociale le soir. Dans de nombreuses maisons, on ressort les jeux de société ou on retrouve le goût de la lecture… Deux mois et demi plus tard, Ouest-France écrit : « Ce sevrage du petit écran attire les sociologues qui notent un regain des veillées, des resserrements familiaux, la renaissance des solidarités disparues. La télé muette, ce sont des voisins qui se reparlent. »

Ce monde sans télévision interroge les journalistes accourus en basse Bretagne. On parle même de sociologues venus étudier le phénomène. En fait, l’absence de télévision ne dure pas si longtemps. Des relais émetteurs sont installés à Quimper et à Brest. La petite lucarne se rallume au bout de quelques semaines, et, dès le début mai, l’ensemble de la Bretagne est à nouveau couvert, à quelques exceptions près.

Contrairement également à une légende, l’absence de télévision, pendant ses quelques semaines, ne semble pas avoir entraîné de baby-boom en Bretagne, si l’on en croit les chiffres des naissances…

Une pointe de mystère

Le pylône de Roc’h Trédudon illustrait aussi la présence d’une certaine modernité dans un paysage très spécial, celui des monts d’Arrée. Un territoire baigné de légendes. Autant dire que l’attentat de février 1974 conserve son lot de mystère.

Le 2 avril 1974, Georges Pompidou décède. Valéry Giscard d’Estaing lui succède à l’Élysée le 19 mai. Il promulgue une amnistie. De fait, les enquêtes s’arrêtent, et aucun militant n’a été inquiété ni jugé pour l’attentat de Roc’h Trédudon. Du côté du FLB, on reste aussi bien flou sur les auteurs de l’attentat, 50 après. Aucun ancien activiste n’a voulu donner l’identité des participants. « C’est mieux que les choses restent un peu mystérieuses », nous a-t-on répondu.

Cinquante après, l’attentat de Roc’h Trédudon est entré dans l’histoire de la Bretagne. Il rappelle une époque, les années 1970, marquée par une effervescence culturelle, des changements sociaux majeurs, mais également une vague de contestation politique, dont la violence du FLB-ARB a été l’une des illustrations.

Le livre est disponible en librairie (diffusion Coop Breizh) ou en ligne.

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