Brest, ville d’eaux et d’histoires…

Le limogeage du directeur d’Eau du Ponant, en mars 2022, entretient bien des controverses dans le pays de Brest… Certains y voient une manœuvre politique pour protéger l’une des cadres de l’entreprise, première adjointe à Brest ; d’autres soulignent que plusieurs syndicats et salariés défendent leur ancien directeur, ce qui n’est pas banal…  

À Brest, il n’y a pas que le tonnerre, il y a aussi les bruits et les rumeurs… Et autant dire que cela bruisse dans la cité du Ponant depuis le printemps dernier, lorsque le maire et président de la métropole, François Cuillandre (PS), a signifié sa suspension, puis son licenciement à Marc Dufournaud, directeur d’Eau du Ponant depuis 2018. Des salariés, des syndicalistes, mais également des opposants politiques à Cuillandre, estiment en effet que Dufournaud, ancien fidèle du maire, aurait été sacrifié pour des raisons plus politiques qu’économiques au profit d’une autre cadre, Karine Coz-Elleouët, par ailleurs première adjointe à la mairie de Brest. Depuis, cette « société publique locale » (SPL), qui distribue de l’eau à 300.000 usagers en nord-Finistère, semble en proie à de forts remous…

Histoires d’eaux

Pour comprendre, il convient de revenir une quinzaine d’années en arrière. Le débat fait alors rage, dans de nombreuses collectivités, entre partisans des régies municipales pour gérer l’eau potable (en général des personnalités de gauche) et adeptes des grandes entreprises du secteur (Veolia ou Suez). « En gros, on avait le choix entre des multinationales dont le but est de faire du profit et des régies au fonctionnement plutôt bureaucratique, souligne un élu d’une autre métropole bretonne. Sans que ce soit noir ou blanc… Si vous avez un problème technique urgent, Veolia ou Suez, ils réagissent tout de suite et réparent… C’est efficace, mais après, vous avez la facture. Avec une régie municipale, vous pouvez rencontrer certains obstacles ou vous pouvez manquer de moyens humains et techniques… »

Or, en 2010, une loi permet la création de société publique locale (SPL), ce qui ouvre une troisième voie, avec des salariés de droit privé (et donc un management idoine) pour des missions de service public. C’est la solution qui va être retenue pour Brest et des communautés de communes voisines, dont les pays d’Iroise et de Landerneau. En 2010 est donc créée Eau du Ponant, une SPL présidée dès ses origines par François Cuillandre.

La société se développe, non sans heurts. En 2017-2018, une crise éclate qui écarte le directeur, Christian Clément, puis qui, selon un syndicaliste, est « recasé » à la métropole brestoise. Dans cette cabale contre Christian Clément, d’après nos sources, on retrouve, entre autres, une élue et adjointe socialiste à Brest, Karine Coz-Elléouët.

Une syndicaliste confie qu’il y avait de réels problèmes à Eux du Ponant à l’époque. « François Cuillandre a entendu les problèmes du personnel, car il y avait une conjonction entre ce que disaient les cadres de direction et les syndicats. Sans compter que le directeur, Christian Clément, avait choqué par des prises de positions assez réactionnaires sur des questions sociétales… C’était un bon spécialiste pour monter l’entreprise, beaucoup moins en termes de relations humaines. »

Que d’eaux, que d’eaux…

En 2018, c’est donc Marc Dufournaud qui succède à Clément Christian. L’homme a une bonne connaissance du terrain brestois ainsi que des problématiques liées à l’entreprise. « D’emblée, estime un représentant syndical, on a vu qu’il voulait communiquer en interne et remobiliser les gens. Il y a eu un bon contact. On pouvait parler. »

Dans un premier temps, l’attelage entre Marc Dufournaud (directeur) et François Cuillandre (PDG) semble bien fonctionner. L’entreprise continue de se développer et atteint près de 200 salariés. Elle assure son travail durant le Covid-19 et ses confinements. Certains salariés se portent ainsi volontaires pour faire fonctionner, en restant isolés, les installations en eau. Le service sera assuré durant tous les confinements. Tout semble donc bien se passer entre le PDG et son directeur.

Les choses changent pourtant à partir de 2020 avec la réélection de François Cuillandre à Brest. Dans la cité du Ponant, le PS, au pouvoir depuis une trentaine d’années, est déchiré. Plusieurs de ses membres importants ont rejoint, en 2017, Emmanuel Macron et son fidèle relais local, Richard Ferrand, lui-même empêtré dans l’affaire des Mutuelles de Bretagne. Le 1er mars 2018, Le Télégramme révèle un scandale autour de l’association de financement des élus de la majorité, Vivre à Brest, qui devrait bientôt être jugée. L’un des cadres du PS brestois, Marc Coatanéa, rejoint ainsi En Marche ! et monte une liste qui ne recueille que 13 % au second tour des municipales de 2020, alors que François Cuillandre est très largement réélu.

Cependant, les déchirements et les affaires ont laissé des traces. François Cuillandre doit faire avec de nouvelles personnalités ou en faire monter d’autres. Karine Coz-Elleouët est ainsi nommée première adjointe. Un poste qu’on peut estimer chronophage. Or, la première adjointe dirige également le département usagers à Eau du Ponant, ce qui fait grincer des dents en interne. « On distribue de l’eau à 300.000 usagers, confie un salarié. Diriger ce département usager est donc une tâche prenante. Madame Coz-Elleouët ne travaillait qu’à temps partiel. »

« Dufournaud avait réussi à remettre de l’ordre à Eau du Ponant depuis 2018, et il avait de bonnes relations avec les salariés, confie une source syndicale. Même s’il était parfois braque. Il avait une logique de développement d’entreprise privée, sans peut-être comprendre qu’à Eau du Ponant, il peut y avoir d’autres logiques… En 2020, il a fait l’erreur de proposer à sa directrice du département usager, Karine Coz-Elleouët, de travailler à plein temps – alors qu’elle n’exerçait plus qu’à temps partiel – ou d’accepter un autre poste de cadre, à salaire égal, mais dans un autre service. »

Si aucune des personnes que nous avons interrogées n’a remis en cause les compétences professionnelles de Karine Coz-Elleouët, tous ont signalé le caractère difficilement conciliable entre ces deux fonctions très prenantes. Interrogé sur la compatibilité entre une charge de première adjointe et un emploi de cadre à plein temps à Eau du Ponant, société qu’il dirige, François Cuillandre n’a pas souhaité répondre précisément. Comme pour l’ensemble de nos questions, le cabinet du premier édile brestois nous a signifié : « M. Dufournaud a été licencié pour faute grave de gestion. Il a contesté ce licenciement, via une procédure en référé devant le conseil des prud’hommes. Il a été débouté de ce référé. Il a souhaité faire appel de cette décision, nous ne commentons pas une affaire en cours de jugement. »

Un curieux prérapport

La tension monte entre Marc Dufournaud et Karine Coz-Elleouët à la fin 2021 et au début de l’année 2022. Marc Dufournaud demande l’appui de son PDG. Sans réponse. En février 2022, son médecin l’arrête pour raisons médicales pendant près d’un mois. Lorsqu’il revient début mars, il convoque une réunion des cadres d’Eau du Ponant pour mettre fin à une situation qu’il estime peu viable pour l’entreprise. Karine Coz-Elleouët se met ensuite en arrêt.

Le 19 mars, Marc Dufournaud est convoqué par le PDG pour s’expliquer sur son management qui aurait généré de la souffrance. Lors de la réunion, il lui est signifié sa suspension et qu’une enquête interne a été effectuée par le cabinet Pennec de Rennes. Cette enquête aurait été motivée par la dénonciation de faits de « harcèlement moral » de la part de deux salariées. Selon la défense de Marc Dufournaud, il s’agit de Karine Coz-Elleouët, première adjointe de Brest, et d’Anne-Marie Derrien, secrétaire générale et réputée très proche de la municipalité brestoise. C’est ce que relate Le Télégramme dans son édition du 12 mai 2022.

Le cabinet Pennec est mandaté et livre donc un prérapport de quelques pages qui interroge, tant il paraît à charge contre Marc Dufournaud, même si le cabinet entend apporter un « regard externe et neutre »…  

Le Penn-Bazh a pu y avoir accès. Le rapporteur explique que 32 personnes ont donné leur avis entre les 11 et 13 avril 2022. Il observe « un clivage très fort des points de vue », entre partisans et opposants à Marc Dufournaud.

Il constate ainsi qu’une dizaine de témoignages sont à charge contre l’ancien directeur. Ils le mettent en cause « pour ses pratiques managériales découlant de la stratégie d’éviction qu’il s’est attaché à mettre en œuvre à l’endroit des cadres et salariés n’ayant pas, de son point de vue, les compétences et, ou la culture de l’entreprise privée nécessaire au bon développement d’Eau du Ponant »… Le prérapport liste ces pratiques : « Mise sous tension ou pression systématique » ; prise de position arbitraire en matière d’augmentation salariale de certains salariés…

Des expressions déplacées que réfute la défense de Marc Dufournaud. Elles font aussi réagir des sources syndicales… « Pas du tout, s’étrangle un syndicaliste. Avec Dufournaud, il y avait du dialogue. Il y a des salariés qui se sont mis en arrêt à cause de Mme Coz-Elleouët ! Surtout, les dirigeants d’Eau du Ponant n’ont pas compris qu’on n’était pas dans la situation de 2017 où il y avait consensus contre l’ancien directeur. Là, c’était très différent. Même lorsque Marc Dufournaud est passé aux prudhommes, les juges ont remarqué que les syndicats prenaient sa défense contre le PDG, ce qui n’est pas vraiment habituel… »

Syndrome de Stockholm

Ce « prérapport » interroge également sur sa méthodologie. Interrogé fin septembre, son rapporteur nous a indiqué « ne rien avoir à dire, ce n’est pas un document qui avait vocation à être rendu public. Il doit donner lieu à un rapport qui sera communiqué en interne ».

En effet, le prérapport Pennec évoque aussi la vingtaine de témoignages recueillis en faveur de Marc Dufournaud (contre la dizaine qui lui sont opposés, donc). Un soutien qui « étonne » le rapporteur : « Nous nous étonnons du caractère inconditionnel du soutien apporté au directeur dans certaines témoignages, car, de toute évidence, ces personnes ont nécessairement assisté ou été témoins des faits ou situations problématiques qui nous ont été rapportés. » À ce moment, le rapporteur développe un curieux argument pour ces témoignages qui ne vont donc pas dans le sens du licenciement de Marc Dufournaud. Selon lui, il y a « probablement un effet de type  » syndrome de Stockholm « . » L’expression est lourde de sens, puisque, selon Le Larousse, le syndrome de Stockholm désigne « une sympathie qui s’établit entre un otage et ses ravisseurs (il pourrait s’agir d’une réaction de défense du psychisme contre une séquestration prolongée) ».

Le rapport reconnaît le changement d’orientation de l’entreprise qui « s’est structurée et développée en intégrant manifestement une logique d’amélioration continue de la qualité, soutenue par la mise en place progressive d’outils et d’indicateurs de performance ». Il estime aussi que le conflit « ne résulte pas d’une simple divergence de point de vue entre, d’une part, le directeur et, d’autre part, la directrice des relations aux usagers ». Concernant cette dernière, le prérapport Pennec ajoute : « Nous avons reçu – assez tardivement, il faut le souligner – quelques témoignages de salariés ou d’anciens salariés de cette direction mettant en cause le management de la directrice (qui est qualifié de très descendant, très autoritaire, dans le contrôle, avec des comportements ou décisions arbitraires, des postions qualifiées de discriminantes vis-à-vis des salariés ayant des mandants de représentants du personnel) en faisant le lien avec des situations de mal-être au travail, épuisement professionnel, dépression… »

« Problèmes de gouvernance »

Licencié pour « faute grave », Marc Dufournaud conteste bien évidemment cette décision, « tant sur la forme que sur le fond », selon son avocat, Maître Rajjou, qui souligne combien son client « a été affecté, à la fois sur la manière dont il a été licencié et sur les éléments qui lui sont reprochés, alors qu’il estime que sous sa direction, l’entreprise a eu de bons résultats économiques et qu’il a toujours entretenu le dialogue social ». La défense de Marc Dufournaud explique que, si ce dernier commence à tourner la page, il reste sensible à la situation des salariés d’Eau du Ponant et à leur mal-être.

L’affaire provoque bien entendu des réactions politiques. Administratrice d’Eau du Ponant et opposante à François Cuillandre à Brest, Bernadette Malgorn juge la situation « assez triste ». « Cela illustre les problèmes de gouvernance à Brest métropole et dans ses nombreux satellites, dont Eau du Ponant. Je trouve absurde que le maire de Brest et le président de la métropole soit PDG d’une entreprise de cette taille. On ne doit pas tout mélanger. C’est du bricolage et de la gestion à la bonne franquette. On ne gère pas une société inscrite au registre du commerce comme cela ! » Concernant le licenciement de Marc Dufournaud et ses différents avec Karine Coz-Elleouët, elle évoque ce qui s’apparente, selon elle, à « un arbitrage politique ». Elle souligne enfin le risque économique pour l’entreprise, si cette dernière devait être condamnée.

Nous avons interrogé François Cuillandre sur le prérapport du cabinet Pennec, les positions des syndicats, les déclarations de Bernadette Malgorn ou les décisions prises pour une nouvelle gouvernance. Son cabinet nous a répondu : « Nous ne commentons pas une affaire en cours de jugement. »

Début octobre, une nouvelle directrice, Noémie Saint-Hilary, a été nommée ainsi qu’une nouvelle secrétaire générale, Mathilde Kermarec. Deux personnalités au profil moins politique. Tout l’été, le nom d’un conseiller de l’ancienne présidente socialiste du conseil départemental du Finistère avait circulé chez les salariés, alimentant une nouvelle défiance… Elles auront fort à faire pour manager une entreprise naturellement divisée par les derniers événements. La plupart des personnes que nous avons interrogées ont en effet souhaité rester anonymes, évoquant une « peur de représailles » et la « brutalité avec laquelle Marc Dufournaud a été évincé ». Une ancienne cadre du PS breton avoue « qu’à Brest, c’est spécial dans les relations humaines. C’est souvent extrêmement brutal. Les gens sont écartés ou préfèrent partir en se taisant… ». « On nous a même envoyé un ancien négociateur du GIGN et hypnotiseur pour nous apaiser ! » confie mi-amusé, mi-consterné un syndicaliste. Ce qui est original en matière de relations humaines, mais ne semble pas avoir été trop efficace…

Sur intervention du CSE de l’entreprise, un audit a été confié à Technologia, un cabinet parisien, spécialisé dans les risques psycho-sociaux. La restitution aura lieu en janvier.

A lire aussi : Brest, des élus qui déchirent !

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2 réponses

  1. Bourguignon dit :

    Ça ne fera jamais que le deuxième directeur d’un satellite de Brest Métropole qui est licencié par le Maire-Président!
    La gestion des RH est assez chaotique à Brest même !
    La retraite risque d’ennuyer le Maire-Président!

  2. BREST TOI dit :

    Tout ce qui s’est passé à Eau du Ponant vient d’une seule personne, protégée et archi-protégée. Pourtant, le service qu’elle y dirige est d’un niveau affligeant. On peut supposer que, l’ex-directeur, Monsieur Dufournaud, s’était aperçu de cette situation et a voulu, pour le bien des employés et des clients, y remettre de l’ordre, ce qui a entraîné son licenciement injustifié.

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