Non, les menhirs ne sont pas « celtiques »

La récente affaire de la destruction des menhirs de Carnac a fait ressurgir une vieille antienne, les mégalithes dateraient de l’époque celtique… Un concept dépassé depuis longtemps, mais qui continue d’être véhiculé, y compris par certains responsables politiques.

La destruction d’une quarantaine de menhirs à Carnac, début 2023, a suscité une vive émotion, mais aussi des tentatives de récupération de la part de l’ultra-droite.

Lire : La leçon des menhirs de Carnac

C’est ainsi qu’on a pu voir une vidéo d’Eric Zemmour devant le chantier du, désormais, fameux Monsieur Bricolage de Carnac, où il évoque l’endroit « où il y avait 39 menhirs qui dataient de 7500 ans. De l’époque celtique ». Bon, on est pas trop étonné de voir le leader de Reconquête prononcer de telles paroles, lui dont la vision de l’Histoire semble s’arrêter aux manuels scolaires de la troisième République. Il n’empêche que, la faute à une certaine bande-dessinée, les mégalithes sont souvent assimilés aux Celtes qui ne sont pourtant apparus que plusieurs millénaires après…

L’une des grandes questions de l’historiographie préhistorique du XIXe siècle tient pourtant à l’attribution chronologique des mégalithes. Savants et historiens se sont alors interrogé et se déchiré sur la civilisation qui avait créé ces monuments imposants. Avec la redécouverte des Celtes au XVIIIe siècle, nombre d’antiquaires vont naturellement leur attribuer la construction des mégalithes. Seuls les Celtes, mentionnés par les auteurs gréco-romains paraissaient dignes d’une aussi brillante culture. L’anglais William Stukeley estimait ainsi que Stonehenge était un monument celtique, idée reprise par les mouvements néo-druidiques contemporains.

La question est d’autant plus sensible en Bretagne que la péninsule possède parmi les plus impressionnants monuments mégalithiques d’Europe. À la fin du XVIIIe siècle, le président de Robien, le grand antiquaire breton de cette période, s’est intéressé naturellement à ces étranges pierres levées et à ces intrigantes tables de pierre. Il leur attribue alors une origine gauloise.

Quelque temps plus tard, l’une des figures de la celtomanie bretonne, Théophile-Malo de La Tour d’Auvergne affirme aussi dans les Origines gauloises que les mégalithes sont d’origine celtique. Pour les désigner, il forge à partir du breton, les termes de menhir (pierre longue) et dolmin (table de pierre), ce dernier terme sera utilisé au pluriel, dolmen par Jacques Cambry dans son Voyage dans le Finistère. C’est cette forme qui sera retenue. Rappelons que, généralement en langue bretonne, les menhirs sont aussi désignés sous le terme de peulvan. L’imagination fertile de La Tour d’Auvergne leur attribue aussi une fonction, celle d’autels où les Celtes se livraient à des sacrifices humains.

La légende noire

La légende noire faisant des mégalithes monuments druidiques est lancée. Dès 1795, une illustration du Voyage dans le Finistère de Cambry représente un auguste druide, juché sur un dolmen et haranguant de musculeux guerriers et d’accortes prêtresses. Par la suite, plusieurs ouvrages vont ancrer cette idée dans l’opinion publique, comme ceux du chevalier de Fréminville, de Maudet de Penhoët, qui voyait dans Carnac un culte au serpent inspiré par l’Égypte, ou de l’abbé Mahé. La mode du romantisme devait encore renforcer ce cliché. Chateaubriand, dans les Martyrs, évoque la druidesse Véléda, avec tous les clichés du genre : forêt de chênes, procession et chants lugubres, dolmen et sacrifice humain.

En 1843, dans son Morbihan, son histoire et ses monuments, Cayot Délandre donne une vision tout aussi sanglante de l’usage des mégalithes : « Partout la pierre brute et colossale était choisie pour y interroger les entrailles des victimes, et pour rendre les oracles en plein air, en face d’un horizon immense, n’ayant au-dessus de leur tête que la voûte des cieux ». Dans les Mystères du peuple, en 1849, le romancier populaire Eugène Sue achève de renforcer la vision des mégalithes « druidiques » dans l’opinion publique. Il fait en effet débuter son récit à Carnac, par une scène de sacrifice humain, avec trois victimes, dont une druidesse de l’île de Sein…

Les débuts de l’archéologie scientifique

Néanmoins, dans les années 1840 et 1850, l’archéologie encore balbutiante va changer la vision des mégalithes. Des archéologues danois, dont Worsae, mettent en place une chronologie dite des trois âges, et attribue les mégalithes aux civilisations de la pierre polie, dont on retrouve des objets dans les dolmens. La fouille de plusieurs dolmens permet de se rendre compte qu’il ne s’agit nullement d’autels, mais de tombeaux. On s’aperçoit alors que ces dolmens étaient enfouis dans des tumulus. En 1853, Mérimée prend la défense de Worsae dans un article du Moniteur intitulé « Sur les Antiquités prétendues celtiques ». Dans la seconde moitié du XIXe siècle, la vision du mégalithisme évolue donc.

Ces monuments sont attribués à la période du Néolithique, une idée qui se diffuse aussi en Bretagne. Dès les années 1850, plusieurs membres de la Société polymatique du Morbihan adoptent cette théorie et récusent celle du « dolmen-autel ». La Société d’Émulation des Côtes-du-Nord semble avoir renoncé rapidement au caractère « druidique » ou « celtique » des mégalithes. Mais, dans la Société d’histoire et d’archéologie du Finistère, on continue à reprendre ce terme jusque dans les années 1880.

Une certaine image de la Bretagne

Car les partisans des mégalithes « druidiques » ne désarment pas. Les débats sont ainsi encore vifs en août 1867, lors du second congrès international d’anthropologie et d’archéologie préhistorique de Paris et tournent autour des mégalithes. Plusieurs savants développent l’idée que les dolmens et les allées couvertes sont des tombeaux et appartiennent à la civilisation de la pierre polie, bien antérieure aux Celtes. Worsae déclare qu’on “reconnaît aujourd’hui presque unanimement que ces monuments dont on faisait autrefois des autels druidiques ne sont autre chose que des tombeaux ; c’est déjà un grand progrès”. Mais Henri Martin est d’avis que les monuments d’Irlande et de Bretagne sont du même âge et doivent être attribués à un même peuple, “les Gaëls ou Celtes primitifs”, alors que Stonehenge appartient au druidisme de la dernière époque de l’indépendance gauloise. Et Martin de réaffirmer fortement la notion de monuments celtiques. Henri Martin aura l’occasion d’exposer à nouveau ses idées quelques semaines plus tard, lors du congrès celtique international de Saint-Brieuc.

Si aujourd’hui, aucun scientifique sérieux ne remet en cause la datation des mégalithes au Néolithique en Bretagne, soit, grossièrement, entre 5000 et 2500 ans avant notre ère, le mythe des mégalithes « celtiques » va avoir une longévité exceptionnelle. Pourtant, la civilisation celtique n’apparaît dans les Alpes (et non dans l’actuelle Bretagne) au tournant du premier millénaire avant notre ère. Ainsi, dans le grand public, on continue, parfois encore aujourd’hui, à les attribuer aux Celtes ou aux Gaulois. L’influence d’une célèbre bande dessinée, dont l’un des héros est un Gaulois tailleur de menhirs, n’y est sans doute pas étrangère ! Les clichés ont la vie dure. Dont celui d’une certaine Bretagne, parsemée de menhirs et de dolmens celtiques…

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8 réponses

  1. Laquittant dit :

    Je ne sais pas si les Français pensent encore que les menhirs ont été édifié par les Celtes, mais je sais que les Bretons savent, pour le plus grand nombre, que les menhirs sont pré celtiques. Ce qui n’empêche en rien, au contraire, de les protéger. Il serait peut-être tant d’arréter de prendre les gens pour des cons.

  2. Guillemot dit :

    Les bretons en sont le peuple dépositaire, leur conservation et leur transmission les autorisent à s’en déclarer responsables lorsque de tels inconséquences administratives locales , préfectorales ou régionales s’imposent à l’évidence.
    C’est un outrage commis sur un patrimoine historique europeen et mondial.

  3. Artomaglos dit :

    Le mythe de l’origine celtique des mégalithes est en effet bien tenace et profondément ancré dans nombres d’esprits peu éduqués en matière d’Histoire culturelle et d’archéologie. Mais l’origine soit disant alpine des Celtes ne le serait-elle pas tout autant ?…
    Pour rappel, cette théorie est apparue elle aussi dans la seconde moitié du XIXe siècle, et s’appuie principalement sur les artefacts des civilisations d’Hallstatt (en Autriche) et de La Tène (en Suisse). Cette culture matérielle, identifiée comme celtique puisque apparue au sein de populations de langue celtique, s’est ensuite répandue rapidement au-delà de son foyer d’origine pour couvrir une zone allant du bassin du Danube à l’Est jusqu’en Irlande à l’Ouest (pour ce qui est de la culture laténienne) au second Âge du Fer.
    Cette théorie de l’origine alpine ou centre-européenne de la culture celtique, encore majoritairement partagée aujourd’hui dans le monde scientifique et qui fait office de véritable credo historique, pose pourtant plus de questions qu’elle n’en résout. Et sa principale faiblesse, héritée de l’historiographie elle-même, est d’envisager l’histoire culturelle principalement sous l’angle de la culture matérielle. Ainsi, la civilisation celtique serait définie uniquement à partir de ses productions artistiques matérielles, et ce qui ne serait pas hallstattien ou laténien ne serait donc pas celtique. La diffusion de la culture celtique dans son ensemble (et non pas que matérielle) à partir de l’Âge de bronze final depuis un berceau alpin se heurte pourtant à de nombreux faits, en particulier la présence de langues identifiées comme celtiques au Sud Ouest de la péninsule ibérique au premier Âge du Fer, bien avant l’apparition des premiers artéfacts laténiens dans la région. Et toujours selon ce modèle alpin, l’Irlande n’aurait été « celtisée » qu’au laténien final, c’est-à-dire globalement vers les IIe-Ier siècle avant J.C., ce qui est en totale contradiction avec les données linguistiques (appartenance du gaélique au groupe Q-Celtic, nombreux archaïsmes par rapport au brittonique et au gaulois, etc.).
    L’histoire linguistique (entre autre) de la civilisation celtique s’avère donc bien différente de son histoire matérielle. Sur quels critères alors fonder la civilisation celtique ? Quoi qu’il en soit, son origine soit disant alpine est de plus en plus remise en question, voire totalement rejetée, par certains chercheurs, sur la base même de ses propres contradictions. Si les cultures hallstattienne et laténienne sont incontestablement des cultures celtiques, elles sont avant tout des cultures matérielles apparues AU SEIN du monde celtique antique, et ne doivent pas être considérées comme exclusives du monde celtique. Il est impossible, au regard des connaissances scientifiques actuelles, qu’elles en soit le creuset, alors même qu’elles n’ont jamais englobé la totalité des populations de langues et de religion celtiques ! Certains mythes, on le voit, ont la vie encore plus dure que d’autres…

    • Erwan Chartier dit :

      Voilà en effet un autre très stimulant débat qui sera abordé lors du colloque organisé par le FIL, l’ICB, Celtic BLM en août prochain. Avec notamment Barry Cunliffe…
      https://www.skoluhelarvro.bzh/colloque-bretagne-celtique/

    • Taglang dit :

      Merci pour votre commentaire…
      Donc on en conclue quoi sur l’origine des menhirs et des dolmens, origine : celte primitif ??

      • Erwan Chartier dit :

        Pas du tout, c’est 3.000 ans avant les Celtes… Au moins. Cela n’a rien à voir. les menhirs détruits remontent, sans doute, au début Néolithique, les premiers agriculteurs arrivés dans la péninsule il y a sept millénaires.Mais on en saura rien puisque le site a été détruit…

  4. Kritian Hamon dit :

    L’absence de preuves n’est pas une preuve d’absence.

  5. Ar Gallos dit :

    Oupala encore du Cancel culture

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