La leçon des menhirs de Carnac

La destruction, début 2023, d’une quarantaine de menhirs à Carnac, a provoqué un vif émoi et témoigne de la destruction, pas si rare, du patrimoine archéologique et historique en Bretagne. Et si les solutions passaient, avant tout, par une prise de conscience et une véritable éducation populaire, en commençant par le cas des mégalithes ?

Depuis début juin, l’affaire fait grand bruit. Une quarantaine de menhirs auraient été détruits sur le chantier d’un futur magasin de bricolage à Carnac. Depuis, la Direction régionale des affaires culturelles en Bretagne (DRAC) s’est fendu d’un communiqué de justification bureaucratique à souhait pour nous apprendre que, selon sa directrice, Isabelle Charbonnier, dans Ouest-France du 9 juin, « ce n’était pas un site majeur ». Idem, le même jour, pour le maire de Carnac, Olivier Lepik qui, dans Le Télégramme, déclare : « on n’a pas détruit la Joconde »

Sans jeter un opprobre exagéré sur les élus ou les fonctionnaires du ministère de la Culture (il n’y a pas mort d’homme et cela semble plus le résultat d’une maladresse), cette destruction mérite qu’on s’y arrête, car elle révèle une certaine méconnaissance des réalités préhistoriques et historiques de la Bretagne, mais également des enjeux d’une étude des sites archéologiques.

En effet, tout archéologue vous le dira : une fouille est comme un livre qui nous renseigne sur le passé, mais dont a droit qu’à une seul lecture. En étudiant un site archéologique, les chercheurs recueillent de nombreux renseignements, mais détruisent en même temps ledit site… La disparition de ces menhirs de Carnac, en ce début 2023, est donc une perte pour notre connaissance du phénomène mégalithique. N’en déplaise au maire de Carnac, ce n’est pas parce que ces menhirs étaient de petite taille qu’ils n’avaient pas un intérêt scientifique important, ne serait-ce que parce qu’ils pourraient faire partie des premières pierres levées du secteur. La directrice de la Drac ne dit d’ailleurs pas autre chose : « le doute subsistera toujours ». Et l’on sait qu’un diagnostic, réalisé en 2015 par l’Inrap, évoquait bien, sur un mode interrogatif : « une file inédite de menhir à Carnac ? »

On peut aussi lire le reportage documenté de Charles Guyard pour Le Point qui relève que la mairie de Carnac n’en est pas à sa première « boulette » question archéologie…

Si cette destruction ne justifie évidemment pas les attaques délirantes de l’extrême droite contre le maire de Carnac – un sommet étant atteint par Eric Zemmour qui parle de monuments celtiques, ce qui démontre encore une fois sa méconnaissance de l’histoire européenne -, elle pose question sur la conception que ce font les élus du patrimoine archéologique. Le maire de Carnac, Olivier Lepik, est en effet président de Paysages de mégalithes en Morbihan, l’association chargée de défendre le projet d’inscription de ce territoire au patrimoine de l’Humanité de l’Unesco. « On n’a pas détruit la Joconde », sans doute, mais des monuments intéressants quand même, qui auraient pu être étudiés et auraient pu faire progresser nos connaissances sur ce phénomène complexe qui a marqué le paysage de la Bretagne entre 5000 et 3000 avant notre ère.

On ne pourra que regretter, une fois de plus, que l’histoire de Bretagne ne soient que marginalement enseignée…

Paysage symbolique

A moyen terme, le plus dommageable, concerne le dossier de classement au patrimoine mondial des mégalithes du Morbihan. La procédure, portée par Paysages de mégalithes, dure depuis des décennies sans aboutir. Elle pourrait, sans nul doute, prendre encore du retard à l’aune de cette destruction. Les contribuables morbihannais, dont le conseil départemental a déjà beaucoup investit en ce sens, apprécieront…

Au-delà, si la destruction de ces menhirs semble provoquer tant de réactions, c’est qu’elle nous renseigne sur notre époque et de notre perception de la Bretagne. En breton, on parle de « peulvan » pour ces « pierres longues », « menhir », un néologisme inventé au XIXe siècle par le mouvement celtomane . Les mégalithes du Néolithique sont aussi fortement associés à une certaine image de la péninsule. Ils ne datent pas de l’époque celtique ou gauloise, mais sont antérieurs de plusieurs milliers d’années. Et pourtant, grâce à une bande-dessinée célèbre, ils sont des symboles d’une Bretagne éternelle et, surtout, touristique.

On ne sait pas trop à quoi servaient les menhirs. Je me souviens d’une visite avec Yves Coppens à Carnac, en 2014, qui, à cette question, avait répondu : « on peut penser qu’il s’agit d’une volonté ostentatoire forte de marquer le paysage par rapport aux voisins ». En gros, un concours du plus gros monument avec les gens d’à côté. Il y a sans doute d’autres raisons qui ont poussé les hommes du Néolithique a mobiliser autant de ressources pour ériger ces monuments, mais, faute d’écrits, leurs rites, leur langue et leur logique nous échapperont toujours en grande partie…

L’affaire récente du Monsieur Bricolage de Carnac n’est, hélas, pas une première. Les mégalithes bretons ont fait l’objet de nombreuses destructions au cours des siècles, comme en témoigne l’incroyable calvaire de Louisfert, en Loire-Atlantique, avec une butte artificielle, construite à partir de 1871 par l’abbé Cotteux en empilant ces pierres issues « d’un culte sanguinaire ».

Aussi, s’il est une leçon à retenir de cette affaire de Carnac, quelles que soient les responsabilités des uns et des autres au niveau judiciaire, c’est que le patrimoine archéologique et historique est un trésor qu’il nous faut sauvegarder et mettre en valeur, qu’elle que soit son importance apparente. Détruire un site archéologique secondaire n’est pas si choquant, à condition qu’il ait pu être étudié de manière scientifique. Encore faut-il que les élus comme les aménageurs soient conscients de la valeur de ce patrimoine et de cet héritage pour les générations présentes et futures. C’est tout l’enjeu et c’est une question d’éducation.  C’est même toute une histoire…

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1 réponse

  1. Bout dit :

    « L’histoire de Bretagne » fait partie de l’histoire de France.

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