Vivre (et un peu profiter) à Brest
Le 18 janvier, on a appris le renvoi en correctionnelle du maire de Brest, François Cuillandre, dans l’affaire « Vivre à Brest ». Il ne s’agit pas ici de qualité de vie dans la cité du Ponant, mais d’un éventuel détournement de fonds dans cette association chargée de collecter et de redistribuer les indemnités des élus socialistes. Et cela tombe bien, un ancien cadre et élu brestois, Thierry Fayret, vient de sortir un ouvrage qui dénonce le détournement d’un système au profit de quelques-uns. Rencontre et explications…
On s’étonnera de ne pas trouver l’ouvrage de Thierry Fayret, L’Affaire vivre à Brest, paru en fin d’année 2022, dans les rayons des librairies brestoises. Il est vrai – et ceci explique peut-être cela – que sa lecture n’a pas dû plaire à certains édiles, particulièrement le premier d’entre eux, François Cuillandre, tant il offre une plongée éclairante dans les méandres de la politique brestoises contemporaine… Ce n’est pas grave, car on peut facilement se procurer l’ouvrage en ligne.
Des méandres dont le Penn-Bazh a commencé à se faire l’écho depuis cet automne, à propos du licenciement du directeur d’Eaux du Ponant ou des soubresauts en 2016 aux fêtes maritimes de Brest.
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Quatrième mandat
On peut dire qu’il s’en passe de belles à Brest ! Nous sommes donc allés à la rencontre de l’auteur de L’Affaire vivre à Brest. Thierry Fayret a longtemps été au cœur du système. Il a fait plusieurs mandats d’élu municipal. En 2019, il était premier adjoint et vice-président de Brest Métropole. Le troisième mandat de François Cuillandre touchait alors à sa fin et peu de monde imaginait qu’il allait se présenter à un quatrième mandat. La chose était d’ailleurs réprouvée par les statuts nationaux du PS et donc de la fédération socialiste du Finistère…
Fort d’un parcours militant à gauche qui remonte à sa jeunesse et de ses mandats électoraux, Thierry Fayret pense légitimement soumettre sa candidature pour être tête de liste aux municipales de 2020. « Jusque là, tout allait bien avec François Cuillandre qui m’avait d’ailleurs dit d’y aller. Cependant, la veille de sa déclaration de candidature à la presse, il m’annonce qu’il se présente. Là, je comprends que c’est fini. Je prends cette annonce comme une rupture de confiance. » Thierry Fayret se sent désormais « ostracisé » par les fidèles de Cuillandre, « du jour au lendemain, on devient infréquentable. Les gens ne vous parlent plus, voire sortent de la pièce, les mêmes qui me considéraient comme un candidat légitime quelques mois auparavant… » En 2020, François Cuillandre est réélu, dans le contexte particulier du Covid.
« Tabou »
De quoi rendre Thierry Fayret quelque peu critique sur ces anciens camarades et l’amener à de se pencher sur quelques cadavres dans les placards, notamment cette affaire « Vivre à Brest », révélée par le Télégramme en 2018 et qui a abouti, l’année suivante, à la mise en examen de deux poids lourds de la majorité municipale, Alain Masson et Jean-Luc Polard, avant que le maire de Brest lui-même ne soit aussi renvoyé devant la justice.
Durant le confinement, Thierry Fayret se penche sur cette affaire, « qui était un tabou pour les socialistes brestois » ainsi que sur les modes de financement pas toujours orthodoxes de son parti… Depuis, il se fait aussi le témoin avisé des turpitudes municipales dans son blog.
Système dévoyé
Depuis la reprise de la mairie par la gauche et Pierre Maille en 1989, les socialistes ont effet mis en place un système de financement particulier. La collectivité ne verse pas les indemnités aux élus PS, mais à une association – la fameuse « Vivre à Brest » -, qui en reverse une partie aux élus. « C’était un système d’inspiration socialiste, estime aujourd’hui Thierry Fayret. Il s’agissait de mutualiser cet argent pour le redistribuer, notamment pour les élus qui connaissaient des pertes de revenus à cause de leur mandat. La question est de savoir pourquoi cela a dérapé après 2001 et l’élection de François Cuillandre ! Comment on en arrive à un système dévoyé. »
Après son élection en 2001, François Cuillandre qui affirme avoir versé 100.000 euros à l’association entre 1989 et 2001, ne reverse plus rien dans le pot commun. « Pourtant, relève Thierry Fayret, Pierre Maille, le précédent maire, versait une partie de ses indemnités à Vivre à Brest ». Surtout, l’activité de l’association devient des plus opaques, comme le constate Thierry Fayret en examinant les documents financiers auxquels il a accès. « Je me souviens de la déclaration du magistrat de la Chambre régionale des comptes qui qualifiait Vivre à Brest de « néant institutionnel ». Cela m’avait interpellé. » Alain Masson semble s’être versé de généreuses sommes par celui qui tenait les comptes de l’association, Jean-Luc Polard, tandis que, plus étonnant, François Cuillandre se voit octroyer des prêts de plusieurs milliers d’euros par l’association alors qu’il n’en fait plus partie
Dans son ouvrage, Thierry Fayret démonte méticuleusement et avec précision la défense de François Cuillandre qui a régulièrement déclaré ne pas être au courant des problèmes à l’intérieur de « Vivre à Brest ». « Cela, on peut difficilement le croire, estime Thierry Fayret. François Cuillandre est, de fait, le chef de la majorité municipale et il est informé de tout. J’ai le souvenir de réunions où cette question était évoquée. Polard et Masson lui rendaient compte régulièrement. Lui se contentait d’un silence qui avalisait les choses. » Même si Thierry Fayret reconnaît que « il y avait une sorte d’omerta sur les questions d’argent chez les socialistes. Une gêne à parler de ça. On estimait que les choses à Vivre à Brest étaient gérées par des personnes de confiance, avec une certaine rigueur, puisqu’on y trouvait un ancien adjoint aux finances, Alain Masson, un ancien banquier, Jean-Luc Polard et que tout cela se faisait dans l’équipe d’un maire, François Cuillandre, ancien fonctionnaire des impôts et fiscaliste… »
« Cela raconte une histoire »
Pendant le confinement, il examine donc les comptes de Vivre à Brest « ligne à ligne, et là, je me suis aperçu que cela racontait une histoire, celle des socialistes brestois entre 2001 et 2018. Et j’ai essayé de comprendre comment s’est organisé la gouvernance durant cette période. » Car pour lui, Vivre à Brest est symptomatique d’un mode fonctionnement et de la gestion des élus par François Cuillandre. « Cela permettait de contrôler les élus avec l’argent, particulièrement les voix dissidentes, avec une certaine insécurité organisée ». Les versements à certains élus et les augmentations, comme celles d’Alain Masson, révèlent ainsi des accords tacites au sein du pouvoir municipal. « Vivre à Brest servait aussi à compenser financièrement des élus qui avaient perdu des postes au profit d’autres. ».
Aujourd’hui encore, Thierry Fayret se demande « comment nous avons pu laisser faire çà ! », d’autant que l’association ne semble n’avoir eu qu’une existence informelle, sans assemblées générales ou comptes tenus à jour. Depuis aussi, deux des protagonistes, Alain Masson et Jean-Luc Polard, sont décédés. Seul François Cuillandre est donc renvoyé devant le tribunal correctionnel pour avoir touché plusieurs milliers d’euros de Vivre à Brest sous forme de prêts dont il n’aurait remboursé qu’une partie.
Histoires de cotisation
Autant d’éléments qui vont pousser Thierry Fayret à se pencher sur le problème des cotisations de François Cuillandre au parti socialiste, ce qui l’amènera à assigner le PS en justice en juin 2022. L’affaire est toujours en cours. « En 2018, lorsque l’affaire Vivre à Brest éclate, nous avons arrêté de reverser nos indemnités à l’association. » C’est alors qu’entre en jeu le PS finistérien (les militants doivent reverser 8 % de leurs indemnités d’élus, sans compter leur cotisation de base). « On a reçu un mail nous demandant de nous mettre à jour de nos cotisations. Intrigué, j’ai demandé le tableau des cotisants et je me suis aperçu, que François Cuillandre ne payait pas sa cotisation d’élu de près de 7.000 euros. Plus tard, je me suis rendu compte que cette situation durait depuis des années.»
Thierry Fayret ne se démonte pas. Constatant que François Cuillandre ne verse que sa cotisation individuelle, mais pas celle d’élu, il lui demande des explications, ainsi qu’à la fédération départementale et au PS national. Aucune réponse… « François Cuillandre n’est pas en règle avec le parti socialiste qui l’a pourtant intronisé pour un quatrième mandat, cela pose question quand même ! Et qu’il ne dise pas qu’il n’était pas au courant, il a été premier secrétaire fédéral du Finistère durant dix ans et connaît donc les statuts… Si François Cuillandre n’a pas payé ses cotisations, il est en dehors du parti et donc sa désignation comme tête de liste aux municipales 2020 ne s’est pas faite dans les règles. »
Ce différent sur les cotisations se conclura donc devant les tribunaux, tout comme l’affaire Vivre à Brest… De nouvelles péripéties d’une vie municipale brestoise décidemment haute en couleurs. Thierry Fayret, quant à lui, reste un homme de gauche, mais en rupture. « Il y a une logique de parti qui fait qu’on n’ose plus critiquer par peur de se tirer une balle dans le pied. Du coup, ce sont ceux qui transgressent les règles qui prennent le pouvoir et font partir les autres. » Ce qui résonne avec une certaine saveur alors que ses anciens camarades socialistes brestois et bretons, en ce début 2023, se déchirent à propos de l’élection du premier secrétaire du parti…
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