Comment l’ultradroite a mis en place sa « méthode Callac »

C’est une histoire qu’il fallait raconter, comment l’ultradroite française a réussi à gagner une victoire symbolique en centre Bretagne suite à l’abandon d’un projet d’accueil de réfugiés à Callac et mis en place une méthode qui va être dupliquée ailleurs.  À coups de « fake news », d’insultes, de menaces, dont l’hebdomadaire local, « Le Poher », a été la victime. Récit…

Callac, c’est une commune du centre Bretagne, attirée à la fois par Guingamp (qui se trouve dans le même département) et Carhaix, un gros bourg qui a connu des jours meilleurs, comme il y a un siècle, lorsque le canton comptait plus de quatre fois plus d’habitants qu’aujourd’hui et se faisait connaître pour ses chevaux et ses chiens de chasse, le fameux épagneul breton.

Callac, c’est aussi une terre de résistance, celle des « campagnes rouges de Bretagne », mises en avant par le sociologue Ronan Le Coadic. Un territoire en quasi-insurrection plusieurs mois avant le Débarquement de 1944, où les maquisards comme les populations locales ont payé un lourd tribut aux exactions des nazis.

Dans la seconde partie du XXe siècle, Callac et son pays ont donc été l’un des bastions du Parti communiste français, dont l’influence s’est peu à peu délitée en ce début de XXIe siècle. Ce qui en faisait peut-être une terre de mission pour l’ultra et l’extrême droite. Comme dans de nombreux territoires ruraux, les différentes crises récentes sont passées par là. On s’y sent parfois un peu abandonné, alors que les services publics se font la malle et que l’économie n’est pas florissante…

Le projet Horizon

En 2020, la municipalité repasse à gauche, avec l’élection de Jean-Yves Rolland, un agriculteur à la retraite. Comme tous les maires ruraux, il est attentif de projets, notamment dans le cadre de dispositifs comme celui de Petites villes de demain. C’est dans ce cadre que le député En Marche, Yannick Kerlogot, le met en relation avec le fonds de dotation Merci, une organisation caritative, présidée par Marie-France Cohen, et qui travaille, entre autres, sur l’accueil de réfugiés.

C’est dans ce cadre que Merci choisi Callac pour le lancement de son projet Horizon, avec comme ambition d’accueillir des réfugiés dans le bourg en réhabilitant des bâtiments anciens, tout en le revitalisant. Au printemps 2022, à la rédaction du Poher, nous recevons un communiqué qui nous paraît généreux, mais aussi un peu décalé par rapport aux réalités locales. Le site Internet de Merci précise ainsi qu’Horizon est une « solution innovante par une approche globale, en permettant de concilier accueil, logement, inclusion, mixité, éducation, emploi, santé et culture dans un même dispositif » ?

Le 14 avril, une réunion publique a lieu, avec la population callacoise. On en rend compte dans le Poher, notamment du fait qu’i s’agit de réfugiés, c’est-à-dire des personnes ayant un statut et des papiers officiels. Ce soir-là, on remarque quelques jeunes personnes à la coiffure très courte au fond de la salle.

L’engrenage se met en route

En effet, l’information n’a pas échappé à l’extrême ni à l’ultradroite qui vont commencer à relayer leurs messages sur Internet, essentiellement sur le nombre de réfugiés accueillis à Callac. Au printemps 2022, on en est encore à une centaine, puis, après quelques maladresses d’élus, l’extrême droite annonce que ce seront 700 réfugiés, évidemment musulmans et africains, qu’on va implanter dans ce village de 2.200 habitants…

Toujours au printemps, Le Poher annonce la création d’un comité d’opposants, qui regroupent quelques personnalités locales, plutôt à droite. Ces dernières vont petit à petit quitter l’association pendant l’été. Ils sont remplacés par des cadres de l’ultradroite qui récupèrent désormais l’affaire, relayés en cela par plusieurs sites de la Fachosphère comme Résistance républicaine et Riposte laïque. Début septembre 2022, la première université d’été de Reconquête !, incite les militants à récupérer les luttes locales pour faire de l’agitation et de la propagande.

De fait, dès le 17 septembre, Callac connaît une première manifestation d’extrême droite qui regroupe un peu moins de 300 personnes. Quelques centaines de mètres plus loin, une contre-manifestation rassemble à peine plus de gens Dans les semaines qui suivent, les opposants et l’ultradroite demandent un referendum local sur le projet et instaurent un climat délétère dans la commune.

Effectivement, on commence à apprendre que de nombreux élus font l’objet de menaces de mort – plus d’une dizaine de plaintes ont ainsi été déposées – ou de « pressions » comme un autocollant d’extrême droite, collé sur la boîte aux lettres de l’adjointe, Laure-Line Inderbitzin, en première ligne pour la défense du projet. Le fonds Merci préfère annuler une seconde réunion publique. Sur les réseaux sociaux et la Toile, les sites d’extrême droite s’en donne à cœur joie, s’en prenant ouvertement aux élus, notamment sur des questions de vie privée…

« Le Poher » fait son travail

Alors qu’une seconde manifestation est prévue en novembre, la rédaction du Poher décide de consacrer son « dossier de la semaine » à Callac « sous pression » dans le numéro du 19 octobre. La journaliste Faustine Sternberg se rend au marché où l’ambiance est un peu spéciale, avec des tractages des opposants au projet, parmi lesquels on retrouve Catherine Blein, la présidente des Amis de Callac et de ses environs.

Cette retraitée, établie dans les Côtes-d’Armor, a été élue en 2014 au conseil régional de Bretagne sur la liste du Front national. Elle en a été exclue en 2017 pour des propos racistes et homophobes. Elle a également été condamnée, en avril 2021, pour apologie du terrorisme, suite à l’attentat meurtrier de Christchurch en Nouvelle-Zélande (51 morts en 2019 dans une mosquée). Elle avait, à cette occasion, twitté ce message tout en nuance : « Tuerie en New Zealand : Œil pour Œil… » Ce qui lui avait valu une amende de 1.500 € et trois ans d’inéligibilité. En première instance, elle avait écopé d’une peine d’un an de prison avec sursis… Une personnalité légèrement « clivante », donc… Ce qui ne dérange pas le parti Reconquête !, dont elle devient l’un des cadres dans les Côtes-d’Armor en 2022.

Faustine Sternberg fait aussi l’interview du maire, tandis que le rédacteur en chef du Poher interroge la directrice du fonds Merci. Rien de bien extraordinaire pour un journal d’information locale. Sauf que la chose ne plaît pas, mais alors pas du tout à un autre cadre de Reconquête ! dans les Côtes-d’Armor, un certain Bernard Germain.

« Le Poher » porte plainte

La directrice de publication de Résistance républicaine, Christine Tasin (à gauche) n’aime pas trop les langues régionales, dont le breton, comme elle l’écrit volontiers sur son site…

Sur le site Résistance républicaine, il publie un article intitulé « La femme est l’avenir de l’homme ? Non, c’est l’Africain ». Le Poher sera informé de cet article par un envoi postal anonyme. L’hebdomadaire y est traité, entre autres amabilités, de « misérable torchon d’extrême gauche », de « feuille de choux immonde »… La journaliste, autrice de l’article principal, est qualifiée de « vendue aux imigrationnistes et aux mondialistes » et de « collabo ».

Des termes insupportables et outranciers qui nous poussent à saisir la justice. Entre-temps, une seconde manifestation de l’extrême droite a rassemblé 400 personnes à Callac en novembre, avec des têtes d’affiche comme le général Coustou ou l’avocat Gilbert Collard. Des jeunes encagoulés se pavanent avec une banderole suprématiste blanche… En face, 700 contre-manifestants s’affrontent brièvement avec les gendarmes mobiles. En fin de manifestation, le rédacteur en chef du Poher est pris à partie par des jeunes militants d’extrême droite qui n’apprécient pas qu’on les prenne en photo. Il leur répond, en français et en breton, qu’il fait son travail. Les gendarmes mobiles s’interposent pour bloquer les trois militants visiblement énervés.

Concernant l’article de Bernard Germain, l’avocat du Poher, maître Iannis Alvarez, préconise de saisir la justice civile. C’est en effet beaucoup plus rapide que la justice pénale, même si les sanctions ne sont pas les mêmes. Une assignation est envoyée à M. Germain, auteur de l’article, et à madame Tasin, directrice de publication de Résistance républicaine le 30 janvier.

Menaces contre la presse

Fin de manif en novembre à Callac, les militants d’extrême droite n’aiment pas les photographes…

Il s’agit sans doute d’un hasard, mais, le lendemain matin, sur la boîte e-mail du Poher se trouve un premier message de menaces de mort contre le rédacteur en chef : « Les batards comme toi on leur fout un manche à balais dans le cul ! On va te crever pourriture et te jeter dans la fosse avec tes négros que tu aimes tant ! A très bientôt salope ! » Même l’adresse de l’e-mail reflète une certaine recherche : vatefaireniquer@chartiertuvascrever.fr (nous avons respecté l’orthographe des messages de menace pour ne pas trahir la pensée de leur ou de leurs auteurs).

Par la suite, c’est un message de mort par téléphone, avec un individu qui demande à quelle heure il peut venir « mettre une balle dans la tête » au rédacteur en chef. Le 20 février au matin, c’est une alerte à la bombe qui force la rédaction à évacuer le bâtiment. Enfin, quelques jours plus tard, nouveau message de mort contre Erwan Chartier et… contre les gendarmes de Carhaix.

L’émotion est très forte, particulièrement dans la profession. Il n’est pas banal qu’un hebdomadaire indépendant soit menacé de la sorte. Les gendarmes font aussi leur travail, mais les messages sont passés par le dark Web et des routeurs à l’étranger, ce qui rend compliqué la possibilité de remonter jusqu’à leurs auteurs. On notera cependant que ces derniers possèdent un certain savoir-faire en la matière, ce qui n’est pas rassurant.

Organisé par le Club de la presse de Bretagne, une manifestation montée en quelques jours réunit 600 personnes à Carhaix, ce 25 février, en soutien au Poher et à notre confrère de France 3, Carole Collinet-Appéré, menacée et harcelée par les sites d’extrême droite depuis qu’elle a fait un sujet sur les menaces contre Le Poher.

Une « méthode Callac » ?

Il est vrai que, depuis janvier, l’ultradroite exulte. Le maire de Callac a en effet renoncé au projet Horizon. Le fonds de dotation Merci l’apprend par voie de presse… Une décision qui laisse des traces dans son conseil municipal.

Callac prend donc valeur de « victoire symbolique » pour ces mouvements xénophobes, surtout dans une Bretagne qui leur est toujours resté rétive. Bernard Germain, qui n’a fait que 3 % aux législatives en 2022 dans le Trégor, publie un livre, Callac, la mère des batailles. Une curieuse expression qu’on n’avait guère entendue depuis la première guerre du Golfe chez Saddam Hussein et qui n’avait pas trop porté chance au dictateur irakien.

On a donc bien affaire ici à une « méthode » : des fausses informations, des rumeurs, des injures, des intimidations, des menaces, du harcèlement pour obtenir, in fine, le retrait d’un projet qui ne plaisait pas à l’ultradroite. À Callac, il s’agissait d’un projet associatif d’accueil de réfugiés, ailleurs d’un centre d’accueil des demandeurs d’asile porté par l’État, comme à Saint-Brevin-les-Pins, en Loire-Atlantique. Ce dernier n’a pas été abandonné, mais le maire de la commune a démissionné, suite aux menaces et à une tentative d’incendie à son domicile.

Le Larousse définit le terme « obsession » de la manière suivante : « Idée répétitive et menaçante, s’imposant de façon incoercible à la conscience du sujet, bien que celui-ci en reconnaisse le caractère irrationnel. » Le Robert indique : « Idée, image, mot qui s’impose à l’esprit sans relâche. »  Il n’y a pas d’autres termes que celui d’« obsessions » pour qualifier ce à quoi nous avons été confrontés pendant ces quelques mois. Celles d’une ultradroite complètement décomplexée, particulièrement sur les sites Riposte laïque et Résistance républicaine. Une rapide visite permet d’aller s’en rendre compte en balayant les thèmes abordés, apologie de Poutine, islamophobie, xénophobie, complotisme, homophobie…, tout y passe.

Ce qui s’est passé à Callac et contre Le Poher méritait donc d’être raconté en détail. C’est tout l’objet de ce livre, en librairie depuis le 14 septembre 2023. On peut aussi le commander sur le site de Coop Breizh.

En vente également à la rédaction du Poher à Carhaix.

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