Loi immigration : mais qu’allaient-ils faire dans cette galère ?

Il est des votes qui interrogent. Il est peu de dire que celui des députés bretons Renaissance en faveur de la loi immigration est de ceux-là. Et qu’il fait parler, bien au-delà du Landerneau politico-médiatique habituel.

Il faut remonter un peu le fil de l’histoire politique récente pour comprendre que ce vote aura sans doute des conséquences plus profondes à long terme que celles d’une énième loi sur le sujet.

En 2017, la Bretagne, historique, terre de gauche affirmée depuis le début des années 2000, fait le choix clair de porter Emmanuel Macron à la tête de l’État. Sans ces voix, il n’est pas qualifié au second tour. Un choix breton à la fois porté par le refus du duel Fillon-Le Pen, mais aussi par un discours libéral au sens premier du terme, c’est à dire favorable aux libertés publiques et civiques.

Le personnage de Mélenchon, pourtant en tête des suffrages à gauche n’imprime pas alors en Bretagne. Sans doute trop clivant pour certains, trop nationaliste, centralisateur et peu enclin au respect du multiculturalisme pour d’autres. Les jeunes pousses du macronisme font, dans la foulée, leur entrée au palais Bourbon, accompagnés par des poids lourds transfuges du PS, dont l’ancien président de Région, Jean-Yves Le Drian.

La Bretagne passe du rose à l’orange, mais sans enthousiasme débordant. Le contraste des photos de liesse  devant les mairies de Nantes ou Rennes entre 2012 et 2017 en atteste. Cruellement, les places vides de 2017 étaient déjà sans doute un message…

En 2022, le vote s’est déjà érodé dans l’abstention pour une part, dans les clivages plus traditionnels pour une autre. La faible percée des oppositions aux législatives, malgré l’accord trouvé à gauche, n’enterre cependant pas les élus macronistes de 2017 dans la majeure partie de la péninsule. Plusieurs facteurs l’expliquent, mais le manque de connaissance de la carte électorale des négociateurs parisiens lors des investitures en est sans doute responsable pour une partie. Les scores des partis aux élections locales ont largement été ignorés.

Un barrage percé

Loin des story-telling annoncées, les électeurs ont globalement boudé ce rendez-vous. Ceux qui se sont rendu aux urnes l’ont fait sans ferveur, mais avec un très net rejet des candidats portés par l’extrême droite.

Il serait cependant très simpliste de considérer, à l’instar de quelques commentateurs peu doués en sociologie électorale que la « faiblesse » des résultats du RN ou de Reconquête serait liée à la moindre prégnance du sujet de l’immigration dans la région. Il faut en effet plutôt y voir le refus pour une grande partie de la société bretonne de considérer la question migratoire sous l’angle d’un « problème ». Les seules vagues que craignent les habitants semblent être encore celles provenant du littoral !

Le décalage entre les débats de plateaux télévisuels sur cette thématique et les aspirations de la population bretonne reste important. Et ce, malgré les tentatives répétées de son importation, comme à Callac ou à Saint-Brévin. Même si les scores de l’extrême droite augmentent régulièrement depuis 20 ans.

Or, en Bretagne historique ce sont 18 sur 24 députés macronistes qui ont donné leur voix pour permettre l’adoption de la loi migration. Si certains comme Jean-Charles Larsonneur à Brest, ou Eric Bothorel à Paimpol ont affiché leur opposition, d’autres ont au contraire assumé sans ambages cette prise de position. A l’image de l’agricultrice Sandrine Le Feur (Morlaix), qui a déclaré connaître des « gens de gauche » favorables au vote de la loi tout en balayant les critiques sur l’adhésion du RN au fond des propositions. Car, selon elle, « les lignes rouges n’ont pas été franchies ».

Les députés modem de la région ont également voté contre le texte, brouillant encore davantage les cartes s’agissant d’une loi qui prévoit la remise en question du droit du sol, l’allongement du délai pour verser les prestations sociales aux étrangers en situation régulière, le durcissement du regroupement familial et des conditions d’octroi d’un visa étudiant.

Un vote refondateur ou une fracture entre les élites et la population?

Un petit tour d’horizon des réactions nombreuses suscitées par le vote ubuesque de la loi dite « Darmanin » s’impose. Sophie Errante, député modem de Loire-Atlantique et membre de la majorité présidentielle explique ainsi avec des mots âpres son opposition à la loi : « faire de la politique, c’est parfois accepter de perdre quand le compromis nécessite de renier les valeurs qui fondent votre intégrité morale ».

Plus au nord, c’est Laurence Maillard Méhaignerie, députée modem qui s’abstient, sans doute consciente de la sociologie électorale de sa circonscription, en partie rennaise. La gauche, mais c’était attendu,  a vivement critiqué l’adoption de la nouvelle législation, qui a rompu les digues avec le rassemblement national. Elle a annoncé qu’elle ne l’appliquerai pas dans les institutions dont elle a la charge.

Cependant, le réquisitoire le plus vif provient d’un ancien secrétaire d’Etat, dont Richard Ferrand, figure historique de la macronie en Bretagne, a été le collaborateur parlementaire dans ses jeunes années : Kofi Yamgnane. Il résume ainsi sa pensée, « la France, celle que l’on dit profonde, n’est pas raciste. Mais pour des raisons difficiles à expliquer, son élite l’est, avec la schizophrénie en plus ».

Il n’est pas évident d’entrevoir aujourd’hui toutes les imbrications de ce moment politique particulier, mais une chose est sûre, si le barrage breton lâche, c’est toute la macronie qui risque de prendre l’eau électorale.

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