En Brière, la colère couve sous la tourbe
Près de 500 personnes ont manifesté, le 30 juin dernier, à Saint-Malo de Guersac, en Brière pour protester contre un projet de parc naturel national et, surtout, défendre des droits accordés par les ducs de Bretagne qui leur permettent de gérer un « Bayou breton » à l’identité frondeuse affirmée…
Les gendarmes comme les envoyés du ministère de l’Environnement n’en menaient pas large, ce jeudi 30 juin, à Saint-Malo-de-Guersac. Les fonctionnaires étaient venus rencontrer les associations des habitants de la Brière (chasseurs, naturalistes, usagers…) pour évoquer un éventuel projet de remplacement du parc régional, par un parc national.
Un projet qui, de l’avis de tous les observateurs, est très sensible dans cette région de marais, au nord de Saint-Nazaire, dont les habitants, comme l’expliquait le Télégramme, forment une tribu bretonne des plus susceptibles… « On craint une mainmise de l’Etat sur la Brière, confie Jakez L’Héritier, un Briéron ancien des Chantiers de l’Atlantique. On a déjà assez de textes et les Briérons ne veulent pas de nouvelles contraintes ! La manifestation était très large, sans récupération politique. Il n’y avait pas que les chasseurs, mais des Briérons de tous bords, attachés aux droits collectifs dont ils jouissent depuis le XVe siècle ! »
Si la manifestation a été plutôt calme (quelques jets d’œufs sur les fonctionnaires…), la situation reste donc tendue en Brière et ce pays de tourbes et de marais pourrait vite s’enflammer. En août 2000, la maison du parc régional avait ainsi été détruite par un incendie. Pour comprendre, un peu d’histoire s’impose…
Un peu d’histoire…
C’est l’un des plus beaux espaces naturels de Bretagne : la Brière qui s’étend sur 19.000 hectares de marais, de tourbières et d’îles, entre les estuaires de la Vilaine et de la Loire, entre Guérande, Saint-Nazaire et Nantes. La Brière s’est formée à l’époque mésolithique, juste après la fin de la dernière glaciation vers 9000 ans avant J.C. Dans un contexte de réchauffement climatique, la mer a alors envahi l’estuaire de la Loire. Seules quelques îles ont surnagé. Puis, cette zone s’est comblée avec les sédiments et les alluvions du fleuve. Elle est restée très humide du fait de son alimentation en eau douce par un cours d’eau, le Brivet.
Depuis la Préhistoire, l’homme est étroitement lié à l’évolution des marais. Ceux-ci fournissent aux Briérons de multiples ressources. Si les terres labourables sont très rares et inondables en hiver, l’élevage a été pratiqué depuis longtemps en Brière. Les habitants du marais ont toujours pratiqué la chasse – notamment au gibier d’eau, abondant ici – et la pêche. Le ramassage du bois et la coupe des roseaux leur ont procuré des matériaux de construction. Quant à la tourbe, elle est un excellent combustible pour le chauffage et la cuisson des aliments. Enfin, le produit du curage des canaux, le « noir » est un engrais recherché que les Briérons ont exporté hors de leur territoire
Néanmoins, les marais sont un milieu fragile et le manque d’entretien des canaux peut provoquer un mauvais écoulement des eaux et la submersion de terrains. Une préoccupation qui existait dès la fin du Moyen Âge. En 1461, une lettre patente du duc de Bretagne François II s’inquiète de la situation : « Et avec ce, par l’abondance desdites eaux, le chemin et voye par lequels le peuple de la paroisse de Montouer […] et autres paroisses voisines avoient accoustumé aller à la dite Brière […] sont tellement empeschez, que les gens du païs n’y pourront aller à bœufs ni charrettes, que paravant le souloin faire… ».
L’entretien collectif des marais
Cette lettre patente souligne et réaffirme que le marais est propriété indivise des habitants des paroisses de Brière. Dès le XVe siècle, donc, les Briérons ont le droit de gérer collectivement leur territoire. Un droit revendiqué, exprimé dans la devise « Briéron, maître chez toi » et que ne remettront pas en cause les pouvoirs royaux puis les différentes républiques jusqu’à présent. Ainsi, au début du XIXe siècle, lorsque des compagnies envisagent d’assécher une partie des marais et d’empêcher les Briérons d’extraire de la tourbe en limite de leurs marais, de vives protestations ont lieu. En 1819 d’ailleurs, une décision du conseil d’État limite l’autorisation d’assécher des marais aux parties non tourbeuses. Le percement, effectué à cette époque, de canaux en périphérie n’affecteront pas le marais indivis de Grande Brière.
Cette tradition de gestion collective des marais s’est prolongée dans le temps. En 1838 une commission syndicale de Grande Brière Mottière est créée par ordonnance royale pour réglementer le tourbage, la pêche et la conservation des pâtures et chemins. Vingt et un syndics représentent alors les habitants des différentes communes. Ces syndicats ont aussi géré les canaux de Brière. Ils se sont regroupés dans les années 1960 en une Union des syndicats des marais du Brivet. En 1992, un syndicat mixte ayant pour but l’aménagement hydraulique du bassin du Brivet est créé, regroupant les vingt-cinq communes du bassin versant. Il élabore des programmes de curage et d’entretien des marais en concertation avec le parc naturel régional de Brière, créé pour sa part dans les années 1970.
Grâce à ses efforts collectifs, la Brière demeure un espace naturel exceptionnellement riche, dans un environnement – l’estuaire de la Loire – pourtant fortement industrialisé. On comprend donc l’attachement de ses habitants à ce fonctionnement multiséculaire, même si tout n’est pas parfait, comme le souligne Jakez L’Heritier : « Il y a des problèmes de permis de construire et de traitement de certaines zones humides. Mais, globalement, cela fonctionne. »
Autant dire que ce projet de parc national a crispé les esprits. Il en avait été de même lors de la création du Parc national marin en mer d’Iroise dans les années 2000. Reste donc à sa voir comment évoluera la situation en Brière, où les capacités de mobilisation populaire sont fortes… Et les feux de tourbe peuvent couver pendant très longtemps avant de s’allumer…
Le Penn-Bazh est un média breton indépendant. Ce sont nos lecteurs qui nous font vivre. Si vous souhaitez nous communiquer une information, n’hésitez pas à contacter la rédaction : redaction@penn-bazh.bzh
Commentaires récents