Chronique de propos anti-bretons (n°6)

 Le Privilège aux Bretons, d’auteur anonyme (XIIIe siècle)

Nous sommes au Bas Moyen Âge, la Bretagne ne parvenait toujours pas à se défaire du joug étranger qui l’oppressait. Malgré quelques tentatives de révoltes de grands seigneurs bretons durant le XIIe siècle, la Bretagne restait sujette aux Anglo-Normands. Du moins, jusqu’à ce que les rois francs retrouvassent une certaine puissance au début du XIIIe siècle, à partir du règne de Philippe II de la maison de Capet. Ce dernier imposa de force un époux de sa « race » à la jeune duchesse Alix. Ainsi s’achevait les 250 ans du duché breton et commençaient les 300 ans du duché franc de Bretagne. Avec l’essor économique et l’expansion des villes durant les XIIe et XIIIe siècles, des Bretons émigrèrent vers les grandes villes de la moitié nord de la Francie et surtout vers Paris. Ils constitueraient dans la ville une petite communauté moquée et dépréciée. La suite de deux poèmes satyriques intituléeLe Privilège aux Bretons, écrits vers 1230-1240, nous le montre parfaitement. Ici étaient mis en scène des travailleurs bretons pauvres de la capitale franque et qui prétendaient défendre bec et ongle un drôle de privilège :

            « […]  »J’apporte une indulgence du roi qui fut lue hier en audience, [et qui dit] qu’en toute la France nul ne peut faire de balais, s’il n’est de notre condition, ou de Gaillec ou de Quimper. Et j’ose bien le dire, il y a encore une autre chose contenue dans le parchemin : nul ne doit vider les fosses s’il n’est Breton. Voilà le résumé de l’écrit, au nom du pape de Rome, qui nous donne un grand privilège. » Dan Trugalet le prêtre jure par le boyau et la fressure qu’ils ne perdront jamais ce droit ni cette franchise : il perdrait plutôt braie et chemise pour le parchemin qui les fixe. Et Guiomar, le fils de Maurice, de la paroisse de Saint-Sulpice, affirme et dit avec violence que jamais personne de son lignage ne manquera à cet usage. […] Et quand cet écrit eut été lu, chacun en pleura de joie. […] C’est par bonheur, au nom de Dieu, comme une bonne fortune, que nous fut porté cet écrit ; et Dieu garde mes enfants et me donne la joie et permette à chacun de réussir comme je le souhaite ! Seigneur Dieu, et sainte Marie, nous ne voulons pas tromper. Que Dieu envoie honte et malheur à ces vauriens qui veulent enlever aux Bretons leur droit et leur ressource de faire les balais en la saison, et de curer les fosses grandes et longues, pleines d’ordure ! […] Maître Maurice ne voulait pas que nous perdions notre droit : il alla à Rome prudemment pour apporter notre privilège, et avec fougue il s’expliqua devant le pape, faisant valoir nos droits. Hardouin dit au pape : « Je ne suis pas hors de mon bon sens. Je vous dirai toute l’histoire de ton lignage. Ta mère fut de grande famille de Bretagne, sa terre sauvage. Il courut à maître Olis ; il lui expliqua de quelle façon et à quelles conditions serait confirmée sa franchise de faire des balais et de curer des fosses. Il fut bien noté sur parchemin : et de couper le genêt au bois, et de porter de grands fardeaux à la ville, et de porter des ordures sur la civière, Breton devant, Breton derrière ; et eux et tous les leurs doivent demeurer dans une latrine[1]. »

            Le stéréotype français voulant que le Breton soit particulièrement sale avait amené une situation où les rares professions qu’on leur confiait en Paris étaient de récurer les fosses d’aisance et les égouts. L’auteur anonyme de ces vers satyriques utilisa ces clichés pour son œuvre. Les enfants d’Armorique étaient « ainsi perçus comme des sortes d’intouchables, véritables parias d’une société parisienne qui s’amuse à leur dépens[2]. » Ici, l’humour fut poussé au point où les Bretons réclamaient eux-mêmes le privilège de curer les fosses, car étant réputés être habitués à la malpropreté. On sourira au fait que ce sont justement les Français qui sont, aujourd’hui, considérés internationalement comme une peuplade peu portée sur l’hygiène. Un passage non cité de ces poèmes prétend que les Bretons seraient tous cousins. Faut-il y voir le fait que, à l’étranger, les Bretons se comportaient effectivement comme les membres d’une même famille pour mieux résister à un milieu hostile[3]? Ou bien serait-ce là une manière détournée d’accuser les Bretons de consanguinité, comme on les avait accusé autrefois d’être incestueux ?

Tanyel Denkyn


[1]Le Privilège aux bretons, In : Edmond Faral, Mimes français du XIIIe siècle, Paris, Honoré Champion Éditeur, 1910, p. 20-23, p. 25-28.

[2]Jean-Christophe Cassard, « Les premiers immigrés. Heurs et malheurs de quelques Bretons dans le Paris de Saint Louis », In : Médiévales n° 6 « Au pays d’Arthur », 1984, p. 89.

[3]André Chédeville, « L’immigration bretonne dans le royaume de France du XIe au début du XIVe siècle », In : Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, Tome 81, n°2, 1974, p. 322.

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1 réponse

  1. Pierre dit :

    Bonjour
    Nous disposons de très peu de manuscrit de cette période qui correspond aux premiers manuscrits des grandes légendes celtiques, de Bretagne et du Pays de Galles, celle du Roi Arthur, de Merlin l’enchanteur, de Tristan et Yseult , du dragon rouge du Pays de Galles, du Roi Gradlon et de la ville d’Ys.
    Aussi, permettez moi d’exprimer quelques doutes sur la réalité de l’existence de ce texte, qui serait daté de « vers 1230, 1240 », période à laquelle la France et français actuels étaient encore bien loin d’exister.

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