Vers un retour de la violence politique en Bretagne ?
Dans un communiqué, daté de mars 2022, adressé au quotidien Ouest-France, le bureau politique du FLB-ARB exige la tenue de deux référendums, l’un sur la réunification de la Bretagne, l’autre sur l’autonomie et l’indépendance. Faute de quoi, menace le communiqué, « l’ARB » passera à l’action. Y a-t-il, vingt ans après, un risque de retour à la violence politique en Bretagne ?
Dans un communiqué, le « bureau politique du FLB-ARB » s’adresse au gouvernement français et au peuple breton. Son communiqué débute par l’affirmation que « le peuple breton subit une double oppression : Une oppression nationale, étant occupé par l’État français, le peuple breton doit se doter d’outils légaux afin d’assurer et de défendre pleinement sa personnalité de peuple et ses intérêts propres. Cela ne peut être réalisé sans la constitution d’une assemblée démocratique de Bretagne. Seul un État breton peut assurer au peuple breton le plein exercice de ses droits nationaux. Une oppression sociale ; face à la pression d’un capitalisme étouffant, soutenu par l’oligarchie française, le peuple breton, marins, ouvriers, paysans, n’arrive qu’à survivre grâce à son labeur. Contre ce seul but qui est le profit maximum sans considération des conséquences humaines, contre la déculturation, contre l’effacement de notre langue ».
Le communiqué exige l’organisation de deux referendums, l’un sur la réunification de la Loire-Atlantique à la Bretagne administrative, l’autre sur l’autonomie ou l’indépendance de la Bretagne réunifiée. Si ce n’était pas le cas avant la fin de l’année 2022, l’ARB menace de passer « à l’action ». Comprendre clairement, entre les lignes, une reprise des attentats en Bretagne…
Références corses
Le communiqué indique que « l’armée révolutionnaire bretonne prend acte que le peuple corse n’est écouté par le gouvernement qu’à la suite d’actions violentes. Nous concevons la lutte armée comme complément à la lutte politique ». Il fait référence aux émeutes qui ont suivi l’agression du militant indépendantiste corse, Yvan Colonna, à la prison d’Arles, le 2 mars 2022, et aux menaces du FLNC corse de reprendre le combat clandestin. Pour calmer la situation, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a promis qu’une évolution institutionnelle de la Corse vers une plus grande autonomie était possible. Comme le soulignait un leader étudiant corse : « On a plus obtenu en deux semaines de manifestations violentes qu’en cinq ans de discussions entre les élus corses et l’État. »
De quoi donner des idées aux militants bretons les plus radicaux ? Et quelle est la réalité de ces mouvements ? Que représentent les auteurs de ce communiqué et sont-ils réellement près à passer à l’action ?
Signaux faibles
Depuis quelques mois, plusieurs signaux faibles tendent à indiquer qu’il existe une tentation de retour à la violence politique en Bretagne. En janvier 2021, l’hebdomadaire du centre Bretagne, Le Poher, a reçu un communiqué du FLB, revendiquant l’incendie d’un engin de chantier à Rostrenen.
Fin novembre, le FLB revendique plusieurs actions contre des résidences secondaires.
Il est difficile d’attribuer la plupart de ces actions. Néanmoins, dans le cas de l’incendie d’une résidence secondaire à Trégastel, début août 2021, un journaliste du Trégor avait relevé des inscriptions « FLB » à proximité.
Les deux derniers communiqués étaient signés du Front de libération de la Bretagne (FLB), un sigle qui avait disparu depuis le début des années 1980. Dans les deux décennies suivantes, les actions avaient été revendiquées par l’Armée révolutionnaire bretonne (ARB). Dans le cas du dernier communiqué de mars, c’est la première fois, depuis la restitution d’explosifs de 2000, suite à l’attentat de Quévert, que l’ARB refait parler d’elle. À part un engin explosif non chargé, en 2014, déposé devant la perception de Lanmeur, en pleine révolte des Bonnets rouges. Une inscription « ARB nevez » (la nouvelle ARB) avait été taguée à proximité.
Le communiqué de mars 2022 reprend une partie de la phraséologie des clandestins bretons des années 1970 à 1990, très influencée par les discours d’extrême gauche. Il fleure bon avec certaines références culturelles bretonnes, comme « le peuple breton, marins, ouvrier, paysans », qui renvoie à la chanson à succès de Gilles Servat, « La Blanche Hermine », de 1970, où l’on parle « d’aller faire la guerre aux Francs ». Le communiqué se termine d’ailleurs par les premières paroles du « Kan bale an ARB » de Glenmor, littéralement, le « chant de marche de l’ARB » : « Poent eo stagañ Bretoned / Gant stourm meur ar vro » (« Il est temps, Bretons, de se lever pour le grand combat »).
Menace crédible ?
De quoi apporter une certaine crédibilité à ce communiqué ? « La – ou les – personne(s) qui l’ont rédigé, connaissent bien l’histoire du mouvement clandestin », confie un ancien activiste.
Des années 1960 à 2000, le FLB et l’ARB ont été responsables de plusieurs dizaines d’attentats en Bretagne.
Voir sur le site Bécédia : http://bcd.bzh/becedia/fr/un-phenomene-de-violence-politique-le-flb-et-l-arb-1966-2000
Difficile aujourd’hui de se faire un avis crédible sur la tentation réelle d’un retour à la violence politique en Bretagne, ne serait-ce que dans les modes de revendication. « N’importe qui peut utiliser le logo de l’ARB, un glaive inséré dans une hermine, note un ancien activiste. Tout le monde peut aussi se fabriquer un tampon avec le sigle. Il n’y a pas de système de vérification, comme cela existait en Corse ou en Irlande, avec des codes échangés avec des médias pour assurer l’authenticité des communiqués. »
Quelle réalité pour ce ou ces mouvements ? Voit-on émerger une nouvelle génération encadrée par quelques anciens ? Là encore, difficile de répondre. « Après l’attentat tragique de Quévert en 2000 (une jeune employée d’un McDonald’s tuée, une action jamais revendiquée) et la restitution d’explosifs qui a suivi, l’ARB a disparu, ajoute notre ancien activiste. Il y a eu une réflexion sur ce mode d’action, d’autant que la plupart des attentats étaient » bricolés « , avec des engins qui n’explosaient pas toujours. »
Plus qu’une réelle tentative de lutte armée, le « terrorisme breton » a pu être perçu comme un moyen de communication politique au XXe siècle, alternant des attentats très médiatiques et des attaques régulières « contre les symboles de l’État central », mais sans réel mouvement politique structuré pour porter la revendication ; sans provoquer l’adhésion de la population bretonne, mais sans rejet massif, non plus.
Tentation
Parallèlement, depuis vingt ans et l’abandon de la violence politique, les revendications bretonnes ont plutôt progressé dans la population. Les autonomistes et fédéralistes de l’UDB (opposés à la violence politique depuis toujours) ont régulièrement des élus, particulièrement au conseil régional de Bretagne. La révolte des Bonnets rouges de 2013-2014, non exempte de contradictions, a vu un rapprochement des luttes sociales et bretonnes, surtout dans l’ouest de la péninsule. La non-réponse des pouvoirs publics, voire le mépris de certaines décisions, comme la censure de la loi Molac sur les langues régionales en 2021 par le Conseil constitutionnel (manifestation de plus de 10.000 personnes à Guingamp en mai 2021 en pleine pandémie) ont également pu alimenter certaines frustrations. « La situation corse, mais également d’autres révoltes bretonnes, illustrent bien le fait que l’État central ne comprend que le rapport de force », estime un autre ancien du FLB des années 1970.
La tentation d’un retour à un certain activisme « romantique » breton n’est donc pas à exclure. On voit cependant mal les « anciens », y compris ceux qui n’ont jamais été inquiétés par la justice, reprendre la lutte, même si des exceptions sont toujours possibles. De jeunes militants bretons se sont également « formés » dans les années 2000 et 2010 avec des « stages en Corse » ou sur des terrains de guerre, comme au Kurdistan. La lutte des Kurdes a provoqué une certaine fascination dans les mouvements indépendantistes et d’extrême gauche en Europe. Début mars 2018, un militant indépendantiste breton, Olivier Le Clainche, engagé avec les YPG kurdes, a trouvé la mort à Afrin en combattant les islamistes et l’armée turque.
D’autres militants bretons, d’extrême gauche, mais aussi d’extrême droite, se seraient aussi engagés, dans les deux camps, lors des affrontements du Donbass en Ukraine dans les années 2014-2015.
S’il existe sans doute un vivier, la réalité de réseaux structurés demeure, cependant, très hypothétique à ce jour. « Avec ce genre de communiqués, il y a toujours un risque de manipulation, assure un militant breton. On constate des comportements un peu étranges de certaines personnes. Il peut y avoir des agents provocateurs qui « poussent à l’action » pour faire du renseignement et des fichiers de militants. Cela peut d’autant plus arriver quand on veut lancer des « fronts », sans cohérence politique, qui amalgament des personnalités de tout bord et dont on ne connaît pas toutes les motivations ».
Difficile donc, aujourd’hui, de savoir si l’on assiste au retour de la violence politique indépendantiste en Bretagne. Si la chose paraît relativement improbable, des attentats plus ou moins « spectaculaires » et épisodiques ne sont pas à exclure, sans compter l’évolution de la situation sociale, avec une montée des colères, sur laquelle les mouvements clandestins ont toujours tenté de capitaliser.
FLB: comment dire ?
Frites Lard Bibines
Je la fais : Combien de divisions ?