Chroniques de propos anti-bretons (3)

Faits et gestes de Louis le Pieux, d’Ermold le Noir (IXe siècle)

Alors que la tension monte une énième fois entre les têtes couronnées de Francie et de Bretagne, le roi des Francs envoie une ambassade au roi des Bretons, en la personne du religieux Witchaire. Après avoir ouvertement menacé le peuple breton de destruction et d’asservissement, l’émissaire étranger réclame une réponse du roi de Bretagne, Morvan Lez-Breizh. Celui-ci invite le clerc à passer la nuit en son palais avant de lui faire une réponse le lendemain matin.

            « L’abbé Witchaire court, dès la pointe du jour, se présenter à la porte de Murman, et demande sa réponse. Le malheureux paraît ; il est enseveli dans le vin et le sommeil, ses yeux peuvent à peine s’ouvrir ; ses lèvres, embarrassées par l’ivresse, ne s’écartent que difficilement pour laisser échapper ces mots entrecoupés par les fumées de son estomac, et dont il n’aura jamais dans la suite à se féliciter :  »Hâte-toi de reporter ces paroles à ton roi : les champs que je cultive ne sont pas les siens, et je n’entends point recevoir ses lois. Qu’il gouverne les Francs ; Murman commande à juste titre aux Bretons, et refuse tout cens et tout tribut. Que les Francs osent déclarer la guerre, et sur-le-champ moi aussi je pousserai le cri du combat, et leur montrerai que mon bras n’est pas encore si faible. »  »Nos ancêtres, réplique Witchaire, ont toujours dit, la renommée le publie, et j’en acquiers aujourd’hui la certitude, que l’esprit de ta nation se laisse entraîner à des mouvements inconstants, et que son cœur embrasse sans cesse les partis les plus opposés. Mais puisque tu refuses de te rendre à mes conseils, je ne suis plus pour toi qu’un prophète de malheur, et je vais t’annoncer de dures vérités. Aussitôt que la France apprendra ta criminelle réponse, elle frémira d’une juste colère, et se précipitera sur tes États, des milliers de soldats t’accableront de leurs armes ; les javelots des Francs te couvriront de blessures ; des hordes pressées de combattants rempliront tes champs, et emmèneront toi et ton peuple prisonniers dans les contrées qu’elles habitent ; tu mourras misérable, tu resteras étendu sur une terre humide, et le vainqueur triomphant se parera de tes armes. Ne t’abuse pas ; ni tes bois, ni le sol incertain de tes marais, ni cette demeure que défendent des forêts et des remparts, ne te sauveront. » Murman, le cœur plein de rage, se lève furieux du trône des Bretons, et lui répond avec hauteur :  »Contre les traits dont tu me menaces, il me reste des milliers de chars, et à leur tête je m’élancerai, bouillant de fureur, au devant de vos coups. Vos boucliers sont blancs ; mais je pourrai leur en opposer encore beaucoup que recouvre une sombre couleur : la guerre ne m’inspire aucune crainte. » Ainsi se parlent ces deux guerriers, et tous deux cependant sont animés de sentiments divers. » Ermold le Noir (790-838), chroniqueur de l’empereur d’Occident Louis Ier  »le Pieux », dans ses Faits et gestes de Louis le Pieux, vers 826[1].

            Ce poète reconnu en son temps que fut Ermold, en plus des nombreuses insinuations soulignées dans les chroniques précédentes et y compris dans celle-ci, se sentit obligé d’insulter l’honneur du roi Morvan en insinuant qu’il était plus qu’accoutumé à la boisson. Nul ne saura jamais si cela était la vérité. En revanche, ce que l’on sait, c’est que la référence à l’alcoolisme supposément inhérent aux Bretons est une idée fixe chez les Francs. Peut-être est-ce là la marque de ce qu’on appelle une « projection » en psychologie et que les Francs, ne pouvant pas s’accuser eux-mêmes d’avoir un problème avec les élixirs d’ivresse, accusent un autre peuple de leur propre défaut. Une nouvelle fois, il apparaît visible que, du point de vue des Francs, leur résister est criminel et que vouloir échapper à leur joug est une insulte justifiant la réduction et la soumission des indomptés. Il est intéressant de noter que le roi Morvan déclare pouvoir opposer aux Francs beaucoup de soldats ayant un bouclier « que recouvre une sombre couleur ». Se peut-il que le noir était déjà la couleur nationale des Bretons ? Ermold le Noir accuse également les Bretons –  par la bouche de Witchaire – d’être un peuple remuant et instable, ce qui permet de justifier encore une campagne de « pacification  militaire ». D’ailleurs, le chroniqueur utilise l’expression « ainsi se parlent ces deux guerriers » pour conclure l’entrevue, trahissant ainsi le fait que l’abbé Witchaire, homme d’église, était utilisé pour la politique belliciste franque.

            A suivre…

Tanyel Denkyn


[1]Ermold le Noir, Faits et gestes de Louis le Pieux, « Chant Troisième », In : François Guizot, Collection des Mémoires relatifs à l’Histoire de France, Tome IV, Paris, J.L.J. Brière Libraire, 1824, p. 63-64.

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1 réponse

  1. Qui veut sacrifier son chien dit qu’il a la rage = autre version de : C’est çui qui dit qui l’est.

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