Brest, malédiction maritime
Après l’affaire des Eaux, le Penn Bazh revient à Brest pour évoquer le cas des Fêtes maritimes qui révèle, là aussi, quelques pratiques étonnantes dans la gouvernance de la cité du Ponant…
Le monde des marins est fait de traditions et de superstitions : on craint le feu de Saint-Elme et les sirènes, on ne prononce jamais le mot « lapin » sur un navire, et… on écarte les directeurs des Fêtes maritimes de Brest quelques mois avant l’événement. « C’est quand même déjà arrivé en 2004, 2008, 2012 et 2016 », confie l’avocat Pierre-Hector Rustique, qui s’est particulièrement occupé de la situation de François Arbellot, en 2016. Un licenciement qui avait fait grand bruit à l’époque et qui s’était soldé par une sèche condamnation de Brest événement nautiques aux prudhommes, après trois ans de procès. Il s’agirait surtout d’une manière de faire révélatrice de fonctionnements en cours dans la cité du Ponant, et non sans rapport avec d’autres dossiers, comme celui des eaux du Ponant, révélé par le Penn Bazh il y a quelques semaines.
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Vieux gréements et fêtes populaires
Pour comprendre l’enjeu des Fêtes maritimes de Brest, il faut remonter aux années 1980 lorsque des passionnés tentent de sauvegarder un patrimoine maritime qui s’étiole avec la modernisation de la Marine et la disparition des derniers voiliers de travail. Porté par la revue Le Chasse-Marée, ce mouvement lance des premiers rassemblements festifs à Pors-Beac’h, puis à Douarnenez, mais également des chantiers de reconstruction et de grandes enquêtes ethnographiques.
À partir de 1988, le succès populaire est au rendez-vous, et il est décidé d’organiser un grand événement maritime international quatre ans plus tard. Douarnenez étant trop petite, l’événement se tient aussi à Brest en 1992. Cette première édition est une incontestable réussite, avec des centaines de navires et près de 420.000 entrées. À noter, qu’à cette occasion, les Brestois redécouvrent la Penfeld, les rives de leur rivière, un territoire militaire coupé de la ville depuis la reconstruction de la cité après la Seconde Guerre mondiale.
Autant dire que Brest 92 a marqué les esprits, et il est alors décidé d’organiser l’événement tous les quatre ans (tous les deux ans à Douarnenez). Les Fêtes maritimes contribuent également à la redécouverte du quartier du port de commerce, redevenu un lieu festif et convivial. Pour l’anecdote, enfin, une bande de trublions centre bretons, irrités de voir toute l’attention et beaucoup de moyens accordés aux vieux gréements et à la « côte », fondent un festival des Vieilles Charrues, avec le succès que l’on sait et des relations parfois épidermiques avec les Fêtes maritimes de Brest…
Grosse organisation
Autant dire que l’organisation d’un tel événement tous les quatre ans nécessite de gros moyens (venue de navires du monde entier, logistique, bénévoles, gestions de plusieurs centaines de milliers de visiteurs…). Après une période de gestion directe par la Municipalité, une structure associative (Brest événements nautiques), dont les dirigeants sont des élus de la Ville et de la Métropole, est montée pour chapeauter les choses et gérer un budget qui se monte à plusieurs millions d’euros depuis les années 2000 (16 millions HT de 2016, ce qui… n’est pas rien).
De quoi provoquer quelques dysfonctionnements et aiguiser des appétits ? Un journaliste spécialisé dans le patrimoine maritime note que « depuis les débuts, à la fin du XXe siècle, il y a eu des évolutions. Les passionnés ont probablement laissé la place aux gestionnaires. Il y a sans doute une perte de sens : on ne rend plus hommage à un patrimoine ni à des gens qui avaient vécu des conditions de travail difficiles sur des navires de travail, mais pour voir de jolis bateaux à voile et boire des coups entre partenaires… ».
Un constat un peu grincheux ? Peut-être, mais il est certain que les Fêtes maritimes constituent une vitrine pour la métropole brestoise, donc un important enjeu en termes de représentation et de communication. De quoi faire l’objet d’une certaine vigilance, voire de surveillance des élus brestois, en premier lieu desquels le maire et président de la métropole, François Cuillandre. Recruté un peu au débotté en février 2015 pour diriger Brest événements nautiques et préparer les Fêtes de 2016, puis licencié en mars 2016, à 4 mois de l’événement, François Arbellot se souvient avoir rapidement constaté une première difficulté. « François Cuillandre était le président de l’association Brest événements nautiques, ce qui posait des problèmes de conflit d’intérêts. En effet, l’association touche de très importantes subventions municipales et métropolitaines directes (6 millions en 2016 et 2,5 millions en 2012 !), mais aussi départementales et régionales. Comme le conseil régional, le conseil général du Finistère était, à l’époque, dirigé par les socialistes, sa formation politique. Il y avait donc beaucoup d’argent public en jeu. Malgré plusieurs mises en garde, François Cuillandre n’a jamais voulu mettre un terme à cela… »
François Arbellot n’est pas au bout de quelques surprises et dénoncera l’absence d’appels d’offres pour une entreprise de communication ainsi qu’un marché un peu bizarre avec la société d’économie mixte, Brest’aim (aujourd’hui l’une des plus grosses sociétés d’économie mixte de France)… Ce qui lui aura valu, un licenciement qu’il qualifia lui-même de particulièrement injuste et brutal et un joli pataquès, révélé par le magazine Marianne. Pour autant Brest 2016 s’est révélé être une réussite exceptionnelle.
Mais dès l’automne une enquête préliminaire est lancée par le procureur. François Cuillandre et François Arbellot auront été entendus en garde à vue pendant plusieurs heures, sans que l’affaire ne débouche sur un procès au pénal. En revanche, Brest événements nautiques est condamné à verser une coquette somme à François Arbellot par le tribunal des prudhommes… « Le tribunal avait reconnu un important préjudice moral, ce n’est pas anodin », souligne Pierre-Hector Rustique, qui défendait François Arbellot. C’est dans le Télégramme du 3à septembre 2016…
Lors des Fêtes maritimes de 2016, le choix du vin « officiel » aurait aussi provoqué quelques raclements de gorge chez les personnes bien informées de l’actionnariat de certains domaines, tout comme la qualité du transport à la voile du précieux breuvage…
Aujourd’hui encore, le site de Brest événements nautiques indique que le bureau est composé de François Cuillandre (président) de Fortuné Pellicano (président délégué) de Yann Guével (trésorier) et de Karine Coz-Elleouët (simple membre du bureau, mais par ailleurs cadre à Eaux du Ponant et première adjointe de François Cuillandre). Un bureau d’association dont on peut dire qu’il est, pour le moins, très politique…
Cabinet Pennec et « microfrottements »
François Arbellot nous a expliqué ne pas connaître Marc Dufournaud, ancien directeur des Eaux du Ponant, licencié il y a quelques mois et qui se retrouvera, lui aussi, prochainement devant le tribunal des prudhommes face à François Cuillandre.
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Ils ont pourtant quelques points communs. En 2011, Marc Dufournaud était directeur des Fêtes maritimes de Brest 2012, avant de devoir quitter la barre « pour des raisons personnelles »… Comme le relatait le Télegramme…
En 2022, pour licencier Marc Dufournaud, François Cuillandre s’est appuyé sur un rapport du cabinet Pennec, dont nous avons retranscris les curieuses conclusions, particulièrement à propos d’une majorité de salariés interrogés qui défendaient leur directeur et auraient donc été atteints d’un curieux syndrome de Stockholm… Or, en 2016, dans le licenciement de François Arbellot, le cabinet Pennec était également intervenu… « Honnêtement, c’était tellement mauvais, voire grotesque, que cela nous a plutôt servi aux prudhommes », en sourit maître Rustique.
Le moins que l’on puisse constater, dans ce rapport Pennec de 2016, est qu’il comporte quelques expressions et conclusions surprenantes. François Arbellot est ainsi accusé d’avoir « ambolisé » le comité de pilotage des Fêtes maritimes. On y lit aussi, concernant les deux entreprises mises en cause par François Arbellot, que « dans un contexte de resserrement budgétaire, les logiques d’acteurs et la défense, légitime pour partie, de leurs intérêts propres, ont été sans doute trop présentes, les « microfrottements » dans la réalité des actions, au-delà des instances type Copil, se sont avérés préjudiciables à un pilotage à la hauteur des enjeux de l’événement ».
Gouvernance
Au-delà d’un curieux jargon sociologique, le recours au cabinet Pennec par la municipalité brestoise interroge… S’agirait-il d’un « cabinet noir » chargé d’habiller et de justifier des décisions arbitraires d’élus ? Étonnant pour une Scop qui emploie plusieurs personnalités venant, notamment, de la deuxième gauche, au profil plutôt humaniste… Suite à la parution de l’article du Penn Bazh sur les Eaux du Ponant, un ancien proche de François Cuillandre, Thierry Fayret, a réagi sur son blog, apportant quelques « compléments » forts instructifs.
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Dans un troisième post, « la faiblesse de la gouvernance », Thierry Fayret évoque ainsi le cabinet Pennec « sur lequel il y a aussi un peu à écrire, car tout cela est très lié, se répète et finit par » faire système » ». On lira avec attention le texte en question qui éclaire les relations entre ce cabinet et la collectivité brestoise, tout en relevant l’une des conclusions de Thierry Fayret : « Il y a un problème systémique à ce type d’analyse, payé par l’employeur. C’est vrai aussi dans le privé, où le cabinet consultant peut être frappé par » le syndrome de la main qui le nourrit « . Des différences significatives peuvent être observées entre des analyses faites par des cabinets payés par les CSE et ceux payés par les directions, par exemple. Il y a naturellement le » biais du payeur » qui entre en ligne de compte. Celui qui finance demande généralement une relecture, une validation du diagnostic et des préconisations, avant leur diffusion. Dans certains cas, il s’agit carrément d’une mission sur objectif (non écrite) afin d’établir un dossier à charge pour l’élimination d’un salarié gêneur (voire d’un directeur). »
Mode de fonctionnement
« Honnêtement, confie une ancienne élue finistérienne, je ne pense pas qu’il y ait plus de corruption à Brest qu’ailleurs. Le problème n’est pas de l’enrichissement personnel, mais des comportements et un sentiment de toute puissance, conforté par l’absence d’alternance politique depuis plusieurs décennies. Cela entraîne des modes de fonctionnement et de décision souvent brutaux, inacceptables ailleurs… »
De quoi assombrir le bilan de François Cuillandre qui a entamé son quatrième mandat de maire en 2020 et peut se prévaloir de réussites certaines ? La gestion de grandes collectivités implique des prises de décision tranchées et rapides, pas forcément appelées à faire l’unanimité. Dans cette affaire des Fêtes maritimes comme dans celle des Eaux du Ponant (où une enquête sur la souffrance des personnels et les risques psycho-sociaux est en cours), il y a une gestion des rapports humains qui interroge et dérange en tout cas.
Quant aux fêtes maritimes de Brest, on remarquera que la malédiction a été rompu en 2020 : pas de changement de direction quelques mois avant, puisque le Covid a conduit à une annulation. Programmées en juillet 2024, les prochaines sont désormais menacées par… les Jeux Olympiques pour lesquels Brest avait déposé un très bon dossier concernant les épreuves de voile, avant d’être recalé au profit de Marseille. Mais ceci est une autre histoire…
Contacté, le cabinet du maire de Brest nous a répondu : « Les termes de votre premier article sur Eau du Ponant et les questions orientées que vous nous adressez dans votre dernier mail ne nous semblent pas conformes à l’idée que nous nous faisons d’un traitement impartial et équilibré de l’information.Nous ne donnerons donc pas suite à votre sollicitation. »
Quitte à faire référence à T.Fayret, vous pourriez citer son livre :
« L’affaire vivre à Brest »
On y parle de Mr Cuillandre et de plein d’autres héros de la cité du Ponant !
Et en plus, 8€ C’est cadeau !
« Honnêtement, confie une ancienne élue finistérienne, je ne pense pas qu’il y ait plus de corruption à Brest qu’ailleurs. »
Y en aurait-il quand même ?
Qu’est-ce que ça doit être ailleurs !!!!
Comment peut-on bousiller la vie de certains en protégeant à ce point la personne qui est à l’origine du licenciement du directeur d’eau du ponant ? S’il n’y a pas plus de corruption à Brest qu’ailleurs, qu’est ce que ça doit être ? Après ça, on s’étonne que les gens se déplacent de moins en moins pour voter !!!!