Réunification de la Bretagne : un rapport pas vraiment de force
Commandé par la région et le département de Loire-Atlantique, un rapport sur une éventuelle réunification administrative du territoire breton a été rendu le 30 janvier. Il compile généralités et pistes de réflexion. Reste à savoir si cette étude qui a coûté un certain prix aura un impact…
C’est une règle de la vie politique : lorsqu’on veut donner l’impression de vouloir résoudre un vieux problème, quoi de mieux que de commander un rapport. « Cela permet de montrer qu’on a fait quelque chose, sans rien faire ensuite », commente un politique. Et voici donc qu’a été rendu, le 30 janvier, une étude d’impact sur le « Rattachement du Département de la Loire-Atlantique au territoire de la Région Bretagne ».
Sans entrer ici dans un long historique de cette revendication, rappelons que Nantes et son département ont été détachés administrativement de la Bretagne une première fois en 1941, puis une seconde fois en 1956. Depuis, malgré de fortes mobilisations (notamment une pétition signée par plus de 100.000 habitants de Loire-Atlantique en 2018), on n’a toujours pas demandé aux citoyens ce qu’ils en pensaient. Les deux collectivités se sont donc entendues pour commander récemment ce « rapport », qui permettrait, éventuellement, de lancer un processus de consultation des populations.
Manifestation pour la réunification en 1977 (cliché Didier Graves).
Cabinet britannique
En 2021, les élections régionales ont en effet vu l’arrivée de plusieurs élus de sensibilité « régionaliste », ou autonomiste, au conseil régional de Bretagne, tant dans la majorité du président Chesnais-Girard que dans les groupes Bretagne à gauche / Breiz a gleiz que dans celui de la droite ou dans des macronistes. Des voix qui ont donc poussé l’institution à bouger sur la question et, donc, à commander ce rapport, malgré un enthousiasme très relatif des services et du cabinet.
Un appel d’offres avait donc été lancé sur ce sujet, certes sensible, mais assez passionnant d’un point de vue institutionnel. Il aurait donc dû intéresser des cabinets spécialisés ou des consultants, tant en Bretagne que dans l’Hexagone. Or, surprise, personne n’y a répondu, malgré un budget, 130.000 euros, qu’on peut qualifier de … conséquent. Et ce qui interroge…
Personne n’ayant répondu, les deux collectivités ont pu sélectionner un cabinet, en l’occurrence PwC, spécialisé en « conseil, audit et expertise juridique et fiscale ». Sans présager de la compétence de cette entreprise, il paraît difficile de circuit court et de consommation locale. PricewaterhouseCoopers est en effet l’un des géants du secteur et une vraie multinationale, si l’on en croit… sa simple fiche Wikipedia. Autant dire que si PwC a bien des locaux dans le quartier de la gare de Rennes, il a surtout une grosse tour à Londres !
PwCà Londres (source Wikipédia).
Après tout, pourquoi les Grands Bretons ne seraient-ils pas compétents pour s’occuper des affaires bretonnes. On ne pourra, en l’affaire, accuser les présidents de la Bretagne et de la Loire-Atlantique de parisianisme.
Quelques enfonçages de portes ouvertes
Pas sûr que pour ce rapport de 93 pages, PwC n’ait mobilisé ses plus fins experts. Il n’est d’ailleurs pas signé, « ce qui peut présumer de l’utilisation de stagiaires pour la rédaction », s’amuse un bon connaisseur du dossier. Sans être mal-écrit, le texte est parfois fastidieux, mais honnête sur sa méthodologie et sur ses objectifs. Il s’appuie sur de nombreux articles et une quinzaine d’entretiens, le tout compilé et « savamment » restitué dans une langue toute administrative. Un classique de ces cabinets de conseil qui, selon la formule, « vous demandent votre montre pour vous donner l’heure ». Pour 130.000 euros quand même, rappelons-le…
Son principal intérêt est de fournir une liste, non exhaustive cependant, des effets de la réunification et de lister un certain nombre de problématiques. Au risque, parfois, de faire quelques longueurs sur des généralités. Sur plusieurs pages, on y apprend ainsi qu’en cas de réunification, la population bretonne… devrait augmenter.
Pour être taquin, on relèvera ainsi, page 17, qu’avec 4,8 millions d’habitants, « la population de la nouvelle Région de Bretagne situerait ainsi entre celles, actuelles, de l’Irlande et du Danemark »… Ce qui ne manque ni de sel ni de celtique, l’Irlande ayant, en effet, elle-aussi un « petit » problème de réunification avec sa partie nord.
La question des finances bâclée…
Autre petit souci, le rapport semble très léger sur la question des finances, voire les méconnait. Ce qui fait rigoler un spécialiste de la question, Yann Le Meur. « Le sujet des finances publiques locales n’est absolument pas maîtrisé dans ce rapport, estime-t-il. C’est dommage, car il y a quand même, à mon humble avis, des gens compétents qui auraient pu éclairer les élus sur la faisabilité technique. »
On relève d’ailleurs des erreurs grossières, comme pour la DGF de « dotation globale de financement » quand il s’agit de « dotation globale de fonctionnement »… « Les auteurs ne connaissent manifestement rien ni sur les mécanismes du transfert de TVA nationale aux régions ni au mode de récupération de la TVA des investissements publics. Ce qui ne serait pas très grave s’il n’avait pas coûté deux à trois fois plus cher que ce qu’il ne vaut…Yann Le Meur juge convient qu’il « n’y a pas d’expertise, donc pas de valeur ajoutée dans ce rapport. »
Malgré son énoncé, « étude d’impact », ce rapport ne comporte aucune mesure. On peut d’ailleurs lire, page 14, que « aucune analyse approfondie des impacts sur les acteurs collatéraux par rapport au périmètre d’étude n’a été mené dans le cadre de cette étude ». Ce qui signifie bien qu’il faudra donc commander… de nouveaux rapports (tout aussi coûteux ?).
Reste à savoir si cette étude aura un impact ? Les présidents de la Bretagne et de la Loire-Atlantique estime que, désormais, la balle est dans le camp de l’État pour organiser une consultation, comme le rappelait récemment Ouest-France. Pourvu que ce dernier … ne commande pas un rapport à Mackinsley !
La balle n’est pas forcément dans le camp de l’Etat : le Conseil départemental de la Loire-Atlantique peut tout à fait organiser la consultation de ses électeurs au sujet de la Réunification. C’est même possible depuis 2005. Une fois que ce vote consultatif aurait eu lieu, l’Assemblée nationale prendrait la suite.
Dans cette république jacobine, cela paraît incroyable que le CD 44 puisse en toute autonomie consulter ses électeurs au sujet de leur région de rattachement. Il suffit pourtant de lire les articles du Code général des collectivités territoriales : L 4122-1 et L 1112-15 à 20. Le CD 44 peut demander à l’Etat décisionnaire à changer de région et donc il peut consulter sa population sur cette demande. Ne pas confondre avec l’article L 4122-1-1 qui a été abrogé. En leur temps, Le Drian, Bachelier, Burlot l’avaient dit, mais sans entrer dans les détails de la loi et surtout sans relai au niveau de l’Etat central. Ils sont donc restés inaudibles, à la différence des gens qui ne cessent de nous vendre le référendum de Grosvalet.
Suite à cette étude d’impact, le Conseil départemental de la Loire-Atlantique et le Conseil régional de la B4 semblent attendre une réponse de l’Etat. Or cette réponse existe déjà : la réponse de Macron à la lettre de Grosvalet qui réclamait un référendum.