Les grèves des forges d’Hennebont
Le Penn-Bazh vous propose une série d’articles sur les révoltes qui ont marqué la mémoire bretonne et témoignent d’une histoire de la péninsule souvent tumultueuse.
Au début du XXe siècle, les Forges d’Hennebont, un établissement produisant du fer-blanc pour les conserveries, deviennent l’un des centres de l’anarcho-syndicalisme en France. Les conflits de 1903, puis 1906, marquent profondément l’histoire sociale de la Bretagne.
Le 30 avril 1860, deux ingénieurs d’origine angevine, les Trottier, demandent à l’empereur l’autorisation d’ouvrir une usine destinée à produire «tôles, fer-blanc, fer, fonte et tuyaux en bois et coaltar» au lieu-dit Kerglaw, à Inzinzac, près de Lorient.
Le choix du site n’a rien d’un hasard, puisqu’il occupe une position centrale sur la côte sud de la Bretagne, où se développent alors des conserveries de poisson, grandes consommatrices de fer-blanc. Le Blavet est navigable et son débit peut produire de l’énergie. Encore très rural, le Morbihan dispose d’une main-d’œuvre abondante…
L’affaire est rapidement florissante. En 1880, 660 employés produisent plus de 5.000 tonnes de fer-blanc. Les Trottier envisagent de construire des fours plus performants, permettant de mélanger le fer-blanc collecté et le minerai de fer breton. Pour cela, il leur faut augmenter le capital et ils passent sous contrôle de la Société générale des cirages français (SGCF), même s’ils continuent de diriger le site morbihannais jusque 1893. Cette multinationale prend peu à peu le pouvoir aux Forges.
La vallée noire de Kerglaw
Les dirigeants de la SGCF s’inscrivent dans un contexte européen, voire mondial, de la métallurgie. Ils développent le site d’Inzinzac qui prend le nom de «Forges d’Hennebont» et ne cesse de s’étendre, occupant jusqu’à 2,50 km des berges du Blavet et 21 ha… Kerglaw devient la « vallée noire », remplie de cheminées, d’ateliers de fonderie et de laminoirs. L’espace se structure avec la création de cités ouvrières ou de lotissements pour les ingénieurs. Les conditions de travail au début du XXe siècle, alors que le site emploie désormais près de 2.000 ouvriers et ouvrières, sont très dures. On compte entre trois et quatre ouvriers blessés par jour, parfois mortellement. Une clinique est d’ailleurs créée par les Forges. Les journées de travail peuvent atteindre 18 heures.
L’étincelle de juin 1903
En juin1903, le patron des Forges, l’homme de la SGCF, annonce qu’il met fin à la prime dominicale de la dizaine de gaziers qui nettoient les fours le dimanche. Il refuse catégoriquement toute augmentation aux manœuvres. En réponse, le 29 juin, des premiers débrayages ont lieu chez les équipes de nuit. Le lendemain, plusieurs manœuvres se mettent en grève. Le 1er juillet, on compte 400 grévistes…
Le 3 juillet, pratiquement tous les employés sont en grève et l’usine est paralysée, ce qui augure d’une lutte longue et dure. Le principal syndicat français, la CGT, délègue plusieurs cadres pour l’organiser, dont Bourchet et Lévy. Le maire d’Hennebont, ancien directeur des Forges, comprend l’enjeu du conflit et concède un terrain au syndicat. Le «Pré-Giband» va devenir le lieu de rassemblement de toute l’agitation sociale.
La situation se tend
Meetings, discours et manifestations se déroulent d’abord dans le calme en juillet. Un journaliste local note que les manifestations de juillet ressemblent à des processions religieuses… La presse parisienne commence à arriver sur place. Il est vrai que le mouvement gêne le gouvernement dirigé par un républicain intransigeant et homme de gauche, le radical Émile Combes.
Début août, la tension monte régulièrement. Les affrontements se font de plus en plus rudes et les autorités mobilisent de nombreux gendarmes et policiers. Le 62e RI de Lorient est même réquisitionné. La répression des manifestations devient violente, avec coups de crosse et usage de la baïonnette…
Émeute à Lorient
La solidarité s’organise en faveur des métallos grévistes, particulièrement à Lorient où dockers et ouvriers de l’arsenal accompagnent leurs revendications. La CGT, alors fer de lance de l’anarcho-syndicalisme en France, ne cesse de recruter et de se structurer dans la région. Les Forges d’Hennebont deviennent un symbole de l’exploitation du prolétariat.
La situation explose le 5 août 1903 à Lorient. La cité des cinq ports est en état d’insurrection et de nombreuses vitres de commerces explosent, tandis que plusieurs milliers de personnes se dirigent vers le tribunal où doivent être jugés des grévistes. L’un des leaders de la CGT annonce : « Monsieur le préfet, j’ai derrière moi 3.000 hommes décidés à tout si, d’ici une heure, les condamnés ne sont pas remis en liberté. Nous mettrons la ville de Lorient à feu et à sang». Des barricades sont levées. L’artillerie coloniale est appelée en renfort pour protéger la sous-préfecture.
La situation est si tendue que la direction cède quelques jours plus tard. Une grande fête de la victoire est organisée, lors de laquelle se mêlent les airs bretons à l’Internationale et la Carmagnole. Aux Forges, l’activité reprend. Trois ans plus tard, un nouveau conflit paralyse l’usine pendant 115 jours afin d’obtenir la journée de travail de huit heures. Ce que le gouvernement accordera en 1919, mais que les Forges n’appliqueront qu’en 1925.
Pour en savoir plus
– « La Montagne des Forges d’Hennebont : mémoires »,Gisèle Le Rouzic, Écomusée d’Inzinzac-Lochrist, 1984.
– « Voyage aux Forges d’Hennebont (1860-1945) », Gisèle Le Rouzic, La Digitale, 1984.
– « La Bataille des Forges d’Hennebont », Gisèle Le Rouzic, La Digitale, 1989.
Commentaires récents