Chroniques de propos anti-bretons (5)

Raoul Glaber (XIe siècle)

Après un quart-de-siècle d’occupation et de destruction normande, vint la reconquête nationale menée par le petit-fils du dernier roi, Alan II « Barvek » (« Barbetorte » en français). Celui-ci ne reprit pas le titre de « roi », mais celui de « duc », sans doute pour éviter de courroucer le roi des Francs, duquel il se déclara « fidèle », instituant la coutume du serment féodale des souverains bretons envers un seigneur étranger. Les rois francs transmirent cette suzeraineté aux Angevins, avant que la Bretagne ne tombe dans l’influence des ducs de Normandie à partir de 995[1]. Durant cette période autour de l’An Mille, voici ce qui pouvait être raconté à propos des Bretons par le moine Raoul Glaber (985-1047), dans sa Chronique publiée vers 1040 :

            « Dans le même temps [fin Xe siècle], la partie inférieure des Gaules était embrasée du feu des guerres intestines. […] Les côtes inférieures de ce pays en forment aussi la province la moins estimée. Elle a Rennes pour sa capitale, et est habitée depuis longtemps par les Bretons, dont toutes les richesses consistèrent d’abord dans l’affranchissement des droits du fisc, et dans le lait que leur pays fournit en grande abondance. Étrangers à toute espèce d’urbanité, ils ont des mœurs grossières, un esprit facile à irriter, un sot babil. Ces Bretons eurent un prince nommé Conan [Ier  »Le Tort »] qui épousa la sœur de Foulques [III  »Nerra »] comte d’Angers. Ce Conan montra plus d’insolence encore que tous les autres princes de sa nation. Il ne craignit pas de ceindre le diadème comme un roi, dans le petit coin de terre qu’occupait son petit peuple, et s’abandonna à tous les excès de la tyrannie. Bientôt une haine irréconciliable s’éleva entre le comte d’Angers et lui, et après s’être offensés réciproquement, en ravageant le territoire et en massacrant les sujets l’un de l’autre, ils finirent par se décider à engager un combat, devenu inévitable. Ainsi donc, lorsqu’ils eurent longtemps et à l’envi l’un de l’autre exercé mutuellement leur haine, en se rendant tout le mal qu’ils pouvaient se faire, ils convinrent de venir tous deux à un jour marqué avec leur armée, dans un lieu nommé Conquereux, pour s’y livrer bataille. Mais les Bretons réussirent, par un stratagème de mauvaise foi, à surprendre une partie des soldats de Foulques, et les égorgèrent lâchement[2]. »

            Voici la définition du terme « urbanité »selon larousse.fr : « Littéraire. Politesse, courtoisie. » ; et la définition de « babil » selon le même site : « Littéraire. Bavardage continuel, enfantin ou futile. » Les mœurs bretonnes étaient ainsi ravalées à celles du niveau de la barbarie, la langue bretonne était quant à elle salie et rabaissée au rang de langue de bas-étage, une sorte de baragouinage avant l’heure.On retrouve le référentiel de l’insolence, de la lâcheté, de sournoiserie et d’irascibilité dont les Bretons se voient accablés au Haut Moyen Âge par les chroniqueurs francs (voir chroniques précédentes).Remarquons aussi le scandale que provoque le fait que le souverain des Bretons  »ose » se comporter en souverain légitime de son peuple et qu’il puisse porter une couronne. En effet, la lutte pour l’indépendance continuait toujours un siècle après la reconquête du pays par Alan II « Barvek », l’autorité royale franque s’étant par ailleurs nettement affaiblie au cours du Xe siècle. Durant les Xe et XIe siècles ce n’est plus au pouvoir royal franc que les Bretons doivent faire face, mais à ceux des comtes d’Anjou et des ducs de Normandie. Toutefois, le couronné aux Lys n’est jamais bien loin et observe à distance la situation…

Tanyel Denkyn


[1]Paul Jeulin, « L’hommage de la Bretagne en droit et dans les faits », In : Annales de Bretagne, Tome 41, numéro 3-4, 1934. p. 411.

[2]Raoul Glaber, Chronique, Livre II, In : François Guizot, Collection des Mémoires relatifs à l’Histoire de France, Volume VI, Paris, J.L.J. Brière Libraire Libraire, 1824, p. 208.

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2 réponses

  1. Mazhevig dit :

    Très intéressant. Les propos de Glaber sont un concentré de la mauvaise foi des Fransquillons (très actuelle encore aujourd’hui)- politique et grandeur de la France obliges, via un homme « d’Eglise », qui en l’occurrence sert bien ses maîtres. Par ailleurs, que ces propos malveillants émanent d’un clerc n’est guère étonnant, c’est comme le clergé pro-républicain qui encouragea l’abandon du breton: quel meilleur instrument de propagande qu’une certaine Eglise gagnée depuis longtemps à l’empire francique? Je pense même qu’elle fut un vecteur essentiel de désinculturation et de francisation, au lendemain des dévastations vikings: en effet, ces dévastations ayant anéanti un grand nombre de communautés et de monastères, les princes bretons importèrent alors un clergé abondant « made in France », qui afflua des abbayes franques et contribua à l’amnésie d’une grande moitié orientale de la Bretagne (Marmoutiers, Mont-St-Michel…) Ce mauvais rôle de l’Eglise est certes déplorable et semble émaner d’un faux rapport entre Rome et Paris. On s’en servira d’alibi pour discréditer l’Eglise, sans jamais évoquer les prêtres et le clergé qui ont combattu pour leur patrie et leur culture, ni des chrétiens éminents comme Iwan Nikolazig qui se refusait à parler français.

  2. Pierre dit :

    L’église la plus ancienne en Bretagne ou tout au moins ses fondations, puisqu’elle fut reconstruite ultérieurement, serait celle de Brelevennez , dans les Côtes d’Armor. Idem pour les autres monuments anciens, remparts, châteaux, il ne nous reste rien de bâti du Xeme siècle et d’avant, (et ceci est aussi valable pour le reste de la métropole.)
    Et donc il ne nous reste pas non plus de manuscrit d’avant cette période.
    Il semblerait qu’un grand cataclysme ait eu lieu sur l’ensemble de la planète vers 1245/1250, selon différents volcanologues, et c’est probablement aussi à cette date que nous devrions situer le « déluge » et les famines qui s’ensuivirent
    Les grandes « pestes » étaient surtout des famines, dues au froid, à l’absence de récoltes, à la faim au manque de vitamines ( scorbut), voire à des empoisonnements ( consommation de racines et champignons).
    Ceci remet totalement en cause une bonne partie de notre histoire, et tout ce qui daterait d’avant ne serait que légendes ou pures inventions.

    Il n’y a donc pas grand intérêt à s’interresser à de tels textes, et de faire ainsi dans le misérabilisme, l’histoire de la Bretagne vaut bien mieux que cela et notamment sur la présence averee des Bretons en Amérique du Nord et du Sud avant un soi-disant Christophe Colomb.

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