Baragouinage : Le Fur énerve Dupond-Moretti
Lors d’un échange sur la réforme de la constitution à l’Assemblée nationale, le député Marc Le Fur, originaire de Plévin, a évoqué la Charte européenne des langues les moins répandues. Dans une vidéo, le ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti, semble lui répondre en utilisant le terme « baragouiner », ce qui a mis le feu aux poudres, étant donné le côté péjoratif du terme en Bretagne… Décryptage d’un « baragouingate » qui nous permet d’avoir des nouvelles du n tildé.
Ce 12 mars, Le Poher a été l’un des premiers médias à relayer une vidéo trouvée sur le compte Twitter de Marc Le Fur. On y voit un échange assez ferme entre le député de Loudéac et le ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti. En plein débat sur l’écologie, Marc Le Fur évoque la Charte européenne des langues les moins répandues, un ensemble de mesures en faveur des langues régionales, signée par la France en 1999, mais jamais ratifiée. Le sujet n’a pas, à première vue, de rapport avec l’écologie, mais le député sait qu’une manifestation pour la défense du breton va avoir lieu quelques jours plus tard à Quimper.
Puis, sur la vidéo, on voit Éric Dupond-Moretti lui répondre : « On dit souvent que la loi ne doit pas être bavarde, qu’elle ne bavarde pas… Tiens, monsieur le député Le Fur, vous savez, vous, d’où vient le mot baragouiner. « Bara », le vin, « gouiner » le vin. Alors, moi, je n’ai pas le goût de l’effort inutile… » Marc Le Fur dénonce alors « un mot dégradant ».
« Une honte »
En vieux routier de la politique, le député breton fait son miel de la réponse du ministre. Interrogé par Le Poher, il explique : « Lors du débat constitutionnel, j’ai défendu comme d’habitude la nécessaire ratification de la Charte européenne des langues régionales. Comme d’habitude, je m’attendais à une réponse négative, mais polie. Là, j’ai été extrêmement surpris qu’il utilise baragouiner, c’est-à-dire le fait de ne pas comprendre le français, d’utiliser une langue de barbare. C’est une honte. Cela fait 20 ans que je n’avais pas entendu de termes aussi péjoratifs sur les langues régionales. »
Marc Le Fur se dit également surpris du succès de sa vidéo. « Tout le monde m’en a parlé lors de la manifestation de Quimper, tout le monde m’en parlait. Les gens étaient choqués.
« Une connerie »
Sur la vidéo, on voit également le ministre présenter ses excuses. Selon Marc Le Fur, le ministre a dit « une connerie ». « À tout pêcheur miséricorde, il s’est excusé, mais c’est quand même l’un des plus grands ténors du barreau de Paris. Il connaît le poids des mots, c’est son job. Utiliser un tel terme, c’est très parisien. Il n’avait pas saisi la sensibilité à cette question. »
Le mot « baragouiner » est en effet particulièrement connoté en Bretagne, où il ramène à une époque pas si lointaine où le breton n’était même pas considéré comme une langue à part entière par les autorités. Pour le Larousse, ce verbe évoque le fait de « parler une langue étrangère et la prononcer incorrectement », mais aussi « dire, exprimer quelque chose de manière incompréhensible ».
Le mot viendrait de « bara », le pain et de « gwin », le vin, il et aurait notamment été utilisé par les soldats de l’armée de Bretagne, abandonnés au camp de Conlie lors de la guerre de 1870. Mais son origine semble plus ancienne, il est utilisé au XVIe siècle par Montaigne et Rabelais. Ancien professeur de breton à l’université de Rennes II, Gwendal Denez est assez dubitatif sur cette origine : « Cela vient plutôt du terme ” barbare ” qui était celui qui ne parle pas grec ou latin chez les Grecs et les Romains de l’Antiquité. Il s’agit plus d’une coïncidence phonétique avec ” bara ” et ” gwin “. Une légende s’est un peu construite ensuite. Il n’en reste pas moins que c’est aujourd’hui un terme extrêmement méprisant et péjoratif vis-à-vis de la langue bretonne… »
« Un montage »
La vidéo de Marc Le Fur a, en tout cas, fortement irrité Éric Dupond-Moretti, dont l’entourage a contacté Le Poher pour dénoncer un « montage ». En effet, comme l’a relevé le quotidien Libération, une dizaine de minutes ont été coupées entre l’intervention de Marc Le Fur et la réponse du ministre. Un laps de temps durant lesquelles d’autres interventions ont eu lieu sur d’autres sujets. On peut en déduire qu’Éric Dupond-Moretti n’utilisait pas le terme « baragouiner » envers les langues régionales, mais pour évoquer la longueur ou la teneur des débats parlementaires…
« Éric Dupond-Moretti n’a rien contre les langues régionales, assure son entourage. Il n’a jamais été désobligeant contre elles. Nous avons même défendu un amendement contre la glotophobie, le fait de se moquer des accents. Marc Le Fur a réalisé un montage tendancieux, un sketch. Ce sont des fake news. C’est indigne pour un parlementaire de la République d’utiliser de telles méthodes populistes. C’est grave »
Du côté de Marc Le Fur, on répond que : « Ce sont des propos de séance. On a, en effet coupé dix minutes, parce que cela aurait été trop long pour une vidéo sur Twitter. Et reste le fait que le ministre a bien utilisé le terme ” baragouiner ” et qu’il s’en est excusé. »
Les proches de Marc Le Fur s’étonnent que le ministère contacte la presse… « Vous n’avez fait que relayer une information sur notre compte Twitter. Pourquoi ne se sont-ils pas directement adressés à nous ? C’est une forme de pression sur les médias. »
Et le tilde ?
Ironie de l’histoire, l’équivalent breton de « baragouiner » se dit « gregachiñ » qui se traduit par « parler grec »… « gregachiñ » avec un « ñ », un ñ tildé dont l’usage a été banni de l’état civil en 2014… par une circulaire du ministère de la Justice. Une décision à l’origine de l’affaire dite « du petit Fañch » qui a défrayé la chronique en Bretagne. Or, en février 2020, le président de l’Assemblée nationale, Richard Ferrand, annonçait qu’un décret concernant l’usage des signes diacritiques à l’état civil, dont le tilde, « était en cours de finalisation ».
Plus d’un an plus tard, qu’en est-il ? Interrogé, l’entourage du ministre nous a répondu que « Sur le tilde, malheureusement, il ne suffirait pas que de modifier la circulaire, mais aussi changer les logiciels de l’état civil qui ne l’incluent pas encore. Des travaux sont néanmoins engagés à la Chancellerie. »
Un certain Raoul Vanheigen a écrit un « Manuel de savoir-vivre à usage des jeunes générations », si je me souviens bien du titre. Il explique qu’il n’y a pas de « petits coups d’épingle » et que les mots peuvent tuer … autant que le pennbazh ? C’est assez dire qu’en nous interdisant de parler nos langues, ils nous ont abêtis et privés de notre pennbazh. vous le rebrandissez et je vous en félicite. Colette Trublet ( Bécherel, Cité du livre et page facebook: Celte que j’aime »