Uniforme, ou uniformité ?
Cela a commencé, il y a quelques semaines. Après une annonce tonitruante, de celui qui était alors ministre en charge de l’éducation, ça y est, enfin ! Le port de l’uniforme allait être réinstauré dans les écoles. Peu importe d’ailleurs, qu’il n’ait jamais existé par le passé. Une mesure, nous a-t-on seriné, faite pour réduire les inégalités, baisser le coût de la scolarité, empêcher le harcèlement. En résumé, un simple polo et un pantalon, transformés, symboliquement en « hussards noirs » à eux tous seuls, chargés de sauver l’école, rien de moins. En Bretagne, c’est un seul maire qui s’est porté volontaire. Celui d’une petite commune des Côtes d’Armor, étiqueté Renaissance, ce qui, au vu du nombre d’élus « sans étiquette », fait montre d’un certain courage politique. On ne saurait lui en vouloir. Hélas, trois fois hélas, comme nul n’est prophète en son pays, l’édile avait omis de consulter son conseil municipal (ne parlons même pas de son opposition). Il s’est donc retrouvé face à une fronde rondement menée, par les conseillers, les parents d’élèves et les enfants, qui, faut-il le rappeler, sont, tout de même, les premiers concernés dans l’histoire. Point de belles images de bambins devenus chérubins de la République à montrer, donc, en Bretagne. L’affaire, si elle peut prêter à sourire, est pourtant assez symptomatique.
La forme sans le fond
Le procédé est assez simple. Une mesure, une phrase choc et le tour est joué. Ces derniers jours, le mot à la mode c’est le « réarmement ». Décliné à l’envie. « Réarmement démographique » « Réarmement industriel », « Réarmement technologique , « réarmement des services publics ».
Il est bien dommage que dans tout ce fatras, personne n’ait pensé au « réarmement syntaxique », qui nous aurait sans doute soulagé de cette surproduction aux accents guerriers. Il est vrai, que, depuis la « guerre » contre le virus, le mot est un peu galvaudé. Là où l’astuce devient embarrassante, c’est que le concept est souvent, voir toujours, une coquille vide. Faite pour occuper l’espace médiatique, mais, surtout, sans faire de politique. Confronter des mesures, des chiffrages, expliquer au quidam des arbitrages, vous n’y pensez pas ma bonne dame, ce serait « trop complexe » !
Un malheur n’arrivant jamais seul, la méthode a la fâcheuse tendance à descendre de son Olympe parisien pour faire florès dans nos contrées reculées. On a vu fleurir ainsi, au grès des publications locales, des termes aussi obscurs que le «aller vers », le « bien manger », le « bien vieillir », ou encore, plus original, le « passer de la culture à la permaculture », le tout évidement dans la « bienveillance » et « l’écoute active ». Devant une telle avalanche de nov langue, on en serait presque à regretter le « vivre ensemble » ou le « vivre en intelligence » chers à nos élus dans les années 2000.
A quand le réarmement politique ?
Ces choix sémantiques sont pourtant politiques. En préférant ainsi des slogans creux à des propositions tangibles, on vide la politique de sa capacité « à transformer le réel » mais aussi et surtout, à former et informer les individus pour qu’ils puissent prendre une part active aux décisions, en conscience.
Pire, ces mots valises sont interchangeables, effacent les clivages, empêchent la discussion saine, voire l’opposition. Qui ira chercher au-delà de ces éléments de langage une orientation idéologique ? Un monde Potemkine, où les images diffusées montrent un univers aseptisé, sans vigueur, sans erreur, sans remous, ou presque. L’inauguration du Salon de l’agriculture par Emmanuel Macron il y a quelques jours en fût un bel exemple.
La journaliste Géraldine Woessner, démissionnaire de BFM et aujourd’hui rédactrice en chef au Point, s’en est fait l’écho, et résume ainsi le désastre « Le grand public ne verra pas la réalité : un salon fermé au public, quasiment désert […], les agriculteurs maintenus à 50 mètres de distance par 4 cordons de CRS. Du jamais vu…Littéralement. ».
Être ou paraître
La communication et le contrôle de cette dernière font ainsi office de maître étalon de la compétence, au détriment des idées, de l’information, du débat. Au point que des députés ont proposé, il y a peu, un allongement des délais pour porter plainte en diffamation, uniquement pour les élus.
Le grand linguiste Saussure disait, « il n’y a pas de mots, il n’y a que des valeurs ». Ajoutons à cette citation celle, virulente, de l’historien Patrick Boucheron, dans son dernier essai sur la politique institutionnelle: « Ne nous fatiguons plus à attendre, espérer, craindre, en nous laissant piéger par le faux rythme que tentent encore d’imposer les petits maîtres des horloges prétendant nous gouverner aujourd’hui, qui maintiennent l’illusion de leur puissance en manipulant de manière routinière tout ce bric-à-brac de l’agenda politicien fait d’effets d’annonce, d’éléments de langage et de calendriers factices ».
Les élus locaux, « à portée de baffes » servent malheureusement souvent d’exutoire à cette frustration quotidienne et à ce manque de politique. La violence qu’ils subissent est indéniable. On ne souhaite pas pourtant les voir devenir à leur tour des « communicants », lisses et sans relief, plus soucieux de leur image et de border cette dernière, que d’améliorer le quotidien de ceux qu’ils représentent. Les électeurs ne sont pas des enfants à qui on s’adresse en babillant, leur vie n’est pas peuplée de Bisounours.
N’y a-t-il pas une école concernée en Loire-Atlantique ? C’est aussi la Bretagne.