Un nouveau chercheur retire sa caution à l’exposition Celtiques ? du musée de Bretagne
Les déboires s’accumulent pour l’exposition temporaire Celtiques ? du musée de Bretagne qui entendait répondre de manière définitive à la question de l’identité celtique de la Bretagne. Un sujet pourtant périlleux, tant les matières concernées sont nombreuses.
En mai, le chanteur Alan Stivell retirait son parrainage à l’exposition, comme le relate Ouest-France. En juin, c’est le sociologue Ronan Le Coadic qui dénonçait une « falsification de l’Histoire » sur Médiapart. En août, le chercheur Erwan Chartier, auteur d’une thèse sur la construction de l’Interceltisme (par ailleurs rédacteur en chef du Penn-bazh) s’est retiré du catalogue de l’exposition, selon Ouest-France et le Télégramme. Chose rare, le Musée de Bretagne a annoncé que certains passages polémiques de l’exposition allaient être réécrits… Cependant, la communication plutôt maladroite (« l’utilisation des mots « affectifs » ou « celtitude ») dans un article de Ouest-France a, de nouveau, rajouter de l’huile sur le feu…
Cette fois, c’est un autre chercheur, Hervé Le Bihan, enseignant à Rennes II (où se trouve le laboratoire Celtic BLM, regroupant l’ancienne section de celtique et breton, ainsi que le centre d’études irlandaises) qui retire sa caution à l’exposition. Voici ses explications :
« Je fais partie des universitaires qui avaient été sollicités par le Musée de Bretagne en vue de l’organisation de l’exposition actuelle « Celtique ? ». Je n’ai participé à aucune des réunions du Comité Scientifique et je ne souhaite pas apporter ma caution à une exposition qui s’avère partiale et partielle.
Une exposition qui ne tient pas compte des derniers travaux scientifiques.
L’histoire des origines de la langue bretonne est expédiée en quelques lignes d’une grande confusion. Ce qui laisse passer des approximations et des anachronismes. Tout aussi confus et approximatif est le tableau de présentation de la dérivation des langues celtiques entre elles. Pas un mot du lépontique ou du tartéssien. Regrouper le gaulois et le galate n’a pas de sens. Pas un mot non plus sur la division du brittonique en deux dialectes distincts : le dialecte du Nord-Ouest (représenté par le gallois) et le dialecte du Sud-Ouest (représenté par le cornique et le breton). Pas un mot non plus sur les changements de langues sur l’île de Man ou en Écosse.
Ces approximations permettent de faire croire que le breton descend autant du brittonique que du gaulois : ce qui est une contre-vérité, mais c’est aussi ce qui permet de mieux éloigner la langue bretonne des autres langues brittoniques.
Pourquoi la cartographie mise en ligne par BCD (Bretagne Culture Diversité) n’a-t-elle pas été utilisée, alors que BCD est partenaire de cette exposition.
Pourquoi n’a-t-on pas tiré parti de la dernière grande synthèse, publiée sous la direction de Elmar Ternes en 2011 « Brythonic Celtic – Britannisches Keltisch / From Medieval British to Modern Breton ».
Et les autres questionnements connectés à la langue, pourquoi n’y en-a-t-il pas trace ?
Ainsi, quid des différentes couches linguistiques bien attestées et bien étudiées dans la toponymie bretonne ? Aujourd’hui on sait très bien ce qui relève du préceltique, du celtique continental et du celtique insulaire. A cet égard la thèse d’Erwan Vallerie est toujours d’actualité.
Quid de l’organisation territoriale de la Bretagne (plou-, lan-, tre-, lok-, etc) si particulière et originale et concerne tout le territoire breton : comme le nom de la commune moderne Plessé (Plebe qui dicitur Sei, en 854) qui se situe en Loire-Atlantique, donc en Région Pays-de-Loire. Escamoter ce thème permet bien sûr de donner une carte de la Bretagne correspondant à celle de la Bretagne administrative à 4 départements.
Quid de la toponymie secondaire ? Elle est majoritairement celtique dans la partie Ouest.
Quid de l’anthroponymie bretonne ? Pourquoi ne pas citer le Cartulaire de Redon ?
Quid de l’ancien droit breton qui a marqué et façonné aussi bien les paysages que les comportements politiques ? Comme, entre autres, le système de quévaise (du moyen-breton quemaes, kevaez aujourd’hui).
En ce qui concerne le Roi Arthur il est totalement incompréhensible de ne pas avoir placé dans l’exposition le tome 2 du manuscrit 1007 de la BRM, ouvert à la page 1426 (alors que le tome 1 est exposé sur un autre propos). En effet, à cette page commence le plus ancien texte arthurien en langue bretonne, le Dialogue entre Arthur Roi des Bretons et Guynglaff. Trop celtique sans doute ?
Tout de même, un ouvrage universitaire collectif est sorti en 2019, intitulé « Arthur in the Celtic Languages / The Arthurian Legend in Celtic Literatures and Traditions », sous la direction de Ceridwen Lloyd-Morgan et Erich Poppe. Une lecture profitable de cet ouvrage aurait permis d’éviter ce qui a été malheureusement produit dans l’exposition.
Cette exposition a été montée autour de réponses niant la dimension celtique à des questions qui n’existent pas. Nous sommes bien loin d’un travail scientifique, hélas. Et ma réaction est très éloignée du « côté affectif » (Ouest-France 17.08.2022).
Tout ceci m’apparaît être une manipulation basée sur l’escamotage et souffrant de confusion d’expression – volontaire ? -, qui permet de gommer ce qui est évidemment celtique, et donc de justifier le point d’interrogation polémique du titre de l’exposition.
Herve Le Bihan
Professeur des Universités Rennes 2″
En attendant de nouvelles polémiques, l’exposition doit s’achever le 4 décembre…
Yann Meschinot
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