Le bon grain et l’ivraie
Il fallait avoir un certain recul, ces derniers jours, pour ne pas céder aux sirènes du manichéisme. Selon les versions, nous avions d’un côté les gentils écologistes, soucieux de la planète et de son avenir, et de l’autre, les méchants productivistes, vendus à l’agrobusiness. La vision inverse nous donnait à voir des agriculteurs découragés et travailleurs, contre des bobos oisifs et urbains, totalement ignorants des réalités du monde rural… Entre les deux, là encore selon les cas, des citoyens attentifs et solidaires, mais aussi des consommateurs et salariés, eux aussi rattrapés par la réalité du pouvoir d’achat en berne.
Un « en même temps », qui, une fois n’est pas coutume, serait sans doute digne de la pensée complexe présidentielle. Que celui qui n’a jamais acheté de jambon sous vide et des petits pois bios jette la première pierre ! Car c’est bien cette complexité qui rend si difficile la compréhension de la crise agricole qui vient de se dérouler. En Bretagne, ces mondes sont si imbriqués dans des dimensions historiques, sociales, familiales, et géographiques, qu’un conflit serait totalement autodestructeur.
Complexité n’est pas perplexité
Est-il si difficile d’envisager les événements sous un angle, non pas consensuel, ni édulcoré mais qui tienne compte de ces dimensions parfois contradictoires ? Peut-on sortir de la caricature ? Un constat : l’industrie agroalimentaire fait vivre des dizaines de milliers de personnes en Bretagne. Il n’est pour autant pas question que ses intérêts soient confondus avec ceux de la population.
L’enjeu est aussi et surtout de faire en sorte que le travail agricole soit rémunérateur. Et ce débat-là, dépasse largement les frontières de l’Hexagone. Qu’ils soient membres de La FNSEA ou de la Confédération paysanne, quel que soit leur mode de revendication, de nombreux participants du mouvement réclament ainsi la refondation de la Pac et la prise en compte des problématiques agricoles dans la négociation des traités de libre-échange.
A l’instar des changements suscités par le Brexit, où la Bretagne était concernée au premier chef, tous les territoires de production agricole n’ont pas les mêmes besoins et ils ne peuvent se fondre obligatoirement dans un discours portant la voix « de la France », comme le dirait le président porte-parole. Loin des préjugés, sur les barrages, les problématiques locales ont refait surface.
Le RN en embuscade
Les élections européennes auraient pu permettre de faire émerger ces dernières, mais, encore une fois, le choix français de faire des listes nationales ne le permettra pas. D’ailleurs, si on observe la composition de celles-ci, du moins celles qui ont été validées, on sera bien en peine pour trouver une quelconque volonté de représentation et de pluralisme dans les origines géographiques ou sociales des impétrants. Là encore, la forme a primé sur le fond et, aux accords d’hier, ont sans doute été préférés les calculs sondagiers.
EELV ne sera ainsi pas alliée avec l’UDB, qui, pourtant, a une députée européenne sortante en la personne de Lydie Massard. Aziliz Gouez, conseillère à la région Bretagne et à la ville de Nantes, a disparu de la liste PS-Place publique. Sur celle-ci, c’est Christophe Clergeau qui aura passé 8 mois au Parlement européen depuis la démission d’Eric Andrieu, qui est le premier candidat issu de la Bretagne historique à se présenter. Or, le député nantais sortant ne présente pas un profil rassurant de ce point de vue. Certes, il a dans sa jeunesse occupé les fonctions de chef de cabinet de Louis Le Pensec, alors ministre de l’Agriculture, mais c’est aussi un fils de député qui a mené les campagnes du très ligerien Jacques Auxiette, en défendant, entre autres, le très controversé aéroport de Notre-Dame des Landes.
Ce n’est bien sûr qu’un exemple, mais il est révélateur, car sans se lancer dans une périlleuse opération de prédiction politique, il est tout de même assez certain, que le RN, lui, veillera à composer des listes où seront présents des agriculteurs, des pêcheurs, et qui sera soucieuse ne pas mettre en avant que des « professionnels de la politique ».
Loin de l’Europe
Ainsi, à nouveau, le scrutin européen, si les partis n’y prennent garde, risque de se transformer en répétition de ce qui est malheureusement devenu la seule élection digne d’intérêt médiatique, la présidentielle. Un avant-match opposant Renaissance et le RN, qui entraînera avec lui son cortège délétère d’idées nauséabondes sur l’immigration, et qui pourrait bien se transformer en référendum pour ou contre l’Europe, avec une démocratie confisquée, un débat se situant très loin des préoccupations de la population et une abstention qui servira de refuge à tous ceux, toujours plus nombreux, qui refusent les scénarios écrits à l’avance.
Gardons-nous en effet des généralisations caricaturales – mais révélatrices de notre société – des « gentils écologistes » sur leurs vélos cargo électriques à 5 000 euros et des « méchants productivistes » à qui aura le plus gros tracteur… Comme le souligne justement Catherine Milin (ce nom me rappelle quelque chose), méfions-nous des discours auto-rassurants d’une Bretagne intrinsèquement vaccinée contre le virus du RN, du fait de sa tradition démocrate-chrétienne et grâce au cordon sanitaire établi par Ouest-France au-delà des Marches de Bretagne face aux « idées nauséabondes » venues de l’Est. En tout cas merci pour ce bel édito. Ben oui, les encouragements ça ne coûte pas cher et ça ne mange pas de pain.