Méli-mélo autour du galo !

Langue romane parlée dans l’est de la péninsule, le gallo est promu et défendu par plusieurs associations avec des approches différentes et de solides inimitiés ! Le petit monde de la langue galèse se déchire désormais devant les tribunaux autour d’une base de données lexicographiques, les plaignants demandant quand même plus d’un million d’euros de dommages et intérêts…

C’est l’autre langue « régionale » de Bretagne : parlé traditionnellement dans l’est de la péninsule, le galo appartient à la famille des langues romanes, dîtes « d’oïl », à la différence du breton, qui se classe parmi les langues celtiques. Le galo est défendu et promu par des associations militantes, et il est soutenu par la Région et différentes collectivités… Il est enseigné en primaire et proposé en option dans le secondaire. Quelques livres sont édités chaque année. Il est aussi présent à travers la musique ou des événements culturels conviviaux.

On ne fera pas ici l’historique des revendications en faveur de la langue galèse ni du rapport parfois compliqué avec les défenseurs du breton… pour se concentrer sur des querelles qui apparaissent quelque peu surréalistes, au regard de la demande sociale vis-à-vis de cette langue. Ainsi, en novembre dernier, une manifestation n’a rassemblé qu’une petite cinquantaine de personnes devant les locaux de France 3, à Rennes, pour réclamer plus de galo sur les ondes… De même, avec le Covid et les réformes Blanquer, il n’y aurait plus qu’une vingtaine de lycéens à prendre l’option galo au bac en 2023, contre près de 250 en 2019. Un effort est fait, en revanche, pour son enseignement en primaire.

Comptant quelques dizaines de militants qui tentent de sauver et de valoriser un riche patrimoine linguistique, le mouvement pour le galo apparaît traversé de forts clivages, notamment sur les questions de standardisation de la langue. « Pour résumer, nous explique un acteur culturel de longue date, il y a, d’un côté, les personnes qui ont avant tout une vision patrimoniale du galo et sont sensibles à son aspect populaire et, d’un autre côté, les partisans d’un gallo unifié et standardisé. C’est un peu caricatural de résumer comme ainsi, mais, cela étant, c’est quelque chose que l’on retrouve pour la plupart des langues minoritaires…  » La question d’une orthographe divise aussi, chacun s’accusant de créer une novlangue galèse avec une écriture la différenciant au maximum du français.

Galo, égo et gros sous

À cette division, somme toute classique, s’ajoutent évidemment des querelles personnelles et de jeux d’égo… Le monde du galo semble aujourd’hui profondément divisé entre deux organisations antagonistes qui se déchirent autour d’une base de données lexicographiques. L’affaire pourrait paraître anecdotique, mais elle devrait se régler devant les tribunaux, avec une demande de 1,2 million d’euros de dommages et intérêt. Ce qui est quand même une coquette somme…

Le Penn-Bazh a donc enquêté sur cette « affaire » et, surprise, outre une certaine gêne, on n’a pas beaucoup trouvé de défenseurs de la langue prêts à parler…, du moins officiellement. Après consultation de son avocat, Bèrtran Ôbrée et l’Institut Chubri n’ont pas souhaité s’exprimer et répondre à nos questions. Du côté de l’Institut de la langue gallèse (ou Institut du galo), on nous a indiqué qu’une communication sur l’affaire aurait lieu en janvier, mais qu’on ne souhaitait pas nous causer pour l’instant. Heureusement, il y a le « off », et on n’a pas été déçus… On ne reproduira pas ici toutes les accusations de récupération politique formulées par les uns vis-à-vis des autres (et vice versa), tant les antagonismes semblent cuits et recuits…

On se concentrera donc sur cette histoire de base de données. Pour comprendre, remontons dans le temps. En 2016 est créé un Institut de la langue gallèse-Institut du galo. Il naît, selon son site, « de la volonté commune des acteurs de la langue et de la culture gallèses et du conseil régional de Bretagne. L’Institut du galo a pour but de faciliter l’accès à la langue galèse, de lui offrir une représentation dans l’espace public et d’être un acteur référent de la politique linguistique ».

Mis en place en 2017, il se voit confier par l’association historique, Bertègn Galèzz, une base de données de plusieurs milliers d’entrées, le « teinzou » ou « trésor » en galo. « Il s’agit du résultat de plusieurs décennies de collectage, nous confie un militant. C’est un travail qui a mobilisé des centaines de bénévoles, principalement sur la toponymie. Cela n’appartient à personnes, c’est un bien collectif ! » L’idée première était que l’institut du galo fasse connaître au plus grand nombre cette base de données et la diffuse…

Le problème est que les choses n’ont pas tardé à s’envenimer entre les deux instituts. Selon nos sources, les opposants à l’Institut du galo estiment que c’est le bureau de Bertègn Galèzz qui a décidé de confier cette base, sans demander l’accord de l’assemblée générale de l’association. « Il y a eu bourrage d’urnes dans cette histoire », nous confie, mystérieux, un adhérent de Bertègn Galèzz.

Le galo dans le panneau ?

Quoiqu’il en soit, une procédure (dans laquelle l’institut Chubri n’est pas partie prenante) a donc été engagée contre l’Institut du galo, réclamant donc 1,2 million d’euros de dommages et intérêts divers. Toujours selon nos sources, Bèrtran Ôbrée demanderait 150.000 € à titre personnel. L’Institut du galo aurait proposé une conciliation et de rendre le « teinzou ». Sans succès.

L’affaire ne s’arrête pas là. Des deux côtés, on ne semble pas apprécier que l’autre institut remporte des appels d’offre de collectivités pour des traductions… Plus récemment, cet automne, un collectif, plutôt proche de l’Institut du galo, a lancé une pétition pour obtenir plus de signalétique en galo, en réaction à l’annonce par l’État et la Région de la généralisation de la signalétique bilingue français-breton dans toute la péninsule. À cette pétition « du galo sur les panneaux » a répondu une autre pétition de l’Institut Chubri, « du galo sur les routes »…

À noter d’ailleurs qu’une « brigade Albert-Poulain » (du nom d’un collecteur et conteur en galo de Pipriac) a revendiqué récemment la destruction de panneaux en breton dans le pays de Rennes. Selon nos informations, cette organisation clandestine compterait au moins un membre… Des actions qui affligent des militants de longue date, comme Bernard Hommerie, pilier de l’association La Bouèze : « Albert Poulain était un copain, et il doit se retourner dans sa tombe qu’on utilise son nom pour faire ça… Je n’étais pas au courant de la procédure judiciaire entre Chubri et l’Institut du galo. Je trouve juste désolant qu’on n’arrive pas à se parler entre nous ni qu’il y ait eu des maladresses vis-à-vis des défenseurs du breton… C’est dommage, car il y a plein de choses à faire. »

À suivre donc. Nous aurons appris que Penn-bazh se dit « calibourdon » en galo, ce qui est fort joli. On cherche toujours, en revanche, la traduction de « guerres picrocholines »…

En galo, Mehaigne désigne une grande querelle, ce qui aurait donné le nom de famille Méhaignerie… Bien loin d’un certain centrisme donc… On le retrouve même en anglais mayhem (via le normand médiéval).

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7 réponses

  1. Chamie dit :

    Cette base devrait être un commun.

    Si cette base, ce « trésor » était accessible à tous, ça ferai longtemps qu’on aurait un dictionnaire galo en ligne digne de ce nom…

    Comme si les associations de défense du galo freinaient des 4 fers pour protéger un soit disant « trésor ».. Mais lequel ?

  2. Fougères Atao dit :

    J’ai toujours été dubitatif face au côté « diva » de Bertrand Obrée et surtout face à son gallo francisé à dessein (les articles dans Nous Vous Ille sont une honte) mais alors là je suis sur le dèrche. Quel culot ce type !

  3. LGL dit :

    Petite réponse pour Chamie:
    L’académie du gallo a mis en ligne son dictionnaire trilingue (gallo/fr/angl) depuis un bon paquet d’années et accès est gratuit

  4. Chubri dit :

    Monsieur Erwan Chartier,

    Chubri a pris connaissance de votre article. Celui-ci comporte plusieurs informations erronées et porte atteinte à l’image de notre association.

    Nous demandons que vous retiriez immédiatement cette publication ou que vous apportiez un démenti concernant les passages qui concernent l’association.

    Contrairement à ce que laisse entendre l’article, l’institut Chubri n’est pas partie prenante dans la procédure judiciaire en question. L’association n’a d’ailleurs pas été contactée en tant que telle à ce sujet.

    Par ailleurs, la pétition « Du gallo sur la route : recenser d’urgence les noms de lieux » a été lancée dès le 22 juin 2022. Elle aborde spécifiquement le besoin de recensement des noms de lieux. Elle est tout à fait complémentaire du manifeste « Du galo en Bertègn » dont Chubri est cosignataire. Ce n’est donc pas une réaction contre ce manifeste, contrairement à ce qu’indique l’article.

    Lydie Porée,
    présidente de Chubri

  5. P·rzidenç de Chubri dit :

    Monsieur E. Chartier,

    Chubri a pris connaissance de votre article. Celui-ci comporte plusieurs informations erronées et porte atteinte à l’image de notre association.

    Nous demandons que vous retiriez immédiatement cette publication ou que vous apportiez un démenti concernant les passages qui concernent l’association.

    Contrairement à ce que laisse entendre l’article, l’institut Chubri n’est pas partie prenante dans la procédure judiciaire en question. L’association n’a d’ailleurs pas été contactée en tant que telle à ce sujet.

    Par ailleurs, la pétition « Du gallo sur la route : recenser d’urgence les noms de lieux » a été lancée dès le 22 juin 2022. Elle aborde spécifiquement le besoin de recensement des noms de lieux. Elle est tout à fait complémentaire du manifeste « Du galo en Bertègn » dont Chubri est cosignataire. Ce n’est donc pas une réaction contre ce manifeste, contrairement à ce qu’indique l’article.

    Lydie Porée,
    Présidente de Chubri

  6. P. Chotard dit :

    Je tombe de ma chaise en lisant cet article. Bertrand Galèzz attaque des militants du gallo en justice ? Ils ne sont pas gonflés ! Qu’ont-ils fait pendant des décennies à part des soirées contes ? Le Gallo n’a jamais autant avancé que depuis ces dernières années et sûrement pas du fait de Bretagne Galèzz. Quant à chubri et surtout à Bertran Obrée, la décence et la courtoisie m’empêchent de dire le fond de ma pensée. Ce qui me révolte c’est surtout de voir l’argent public dépensé en frais d’avocats. On peut avoir les sommes ?

  7. Bertègn Galèzz & B. Ôbrée dit :

    DROIT DE RÉPONSE

    Monsieur Erwan Chartier, directeur de publication du site internet https://penn-bazh.bzh

    Nous prenons connaissance de votre article intitulé « Meli-mélo autour du galo ! » publié le mercredi 21 décembre et modifié le jeudi 22 décembre.

    Nous exerçons notre droit de réponse par le présent message, tant votre article contient des éléments non conformes à la réalité des faits et portant de surcroit atteinte à l’honneur et à la réputation des personnes et associations citées.

    Le contenu de votre article est intolérable.

    D’une part, parce qu’il tend à jeter le discrédit sur le bien-fondé de l’action entreprise par les “plaignants”, alors que les faits relatés sont inexacts.

    D’autre part, parce que vous employez volontairement des vocables dépréciant les “plaignants” dans le but de tenter de les faire passer pour des personnes cupides.

    Tenter de faire passer les “plaignants” et l’affaire en cause pour des “jeux d’ego”, une affaire de “gros sous” constitue des jugements de valeur qui n’ont nullement leur place dans un écrit journalistique. L’emploi de telles qualifications sont absolument contraires à la déontologie journalistique qui requiert d’examiner tout fait relaté ou rapporté avec vérité, rigueur, exactitude, intégrité et équité. Or ces principes n’ont manifestement pas guidé votre plume lors de l’écriture du “méli-mélo”.

    Pour le reste, nous nous en remettons à la réalité des faits, qui n’ont pas su être retranscrites dans votre article.

    Les gallésants ayant œuvré pendant près de 50 ans et aujourd’hui, au 21ème siècle, celles et ceux qui contribuent inlassablement, contre vents et marées, à la vivacité de leur langue, méritent respect et dignité.

    Vous priant de recevoir nos salutations les meilleures, nous apprécierions la publication in extenso de notre demande de droit de réponse dans votre « regard indépendant sur l’actualité bretonne ».

    Jaqhi Deresnn, président de Bertègn Galèzz, & Bèrtran Ôbrée

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